C’est pile le moment où Yves met le pied, premier pas, sur la passerelle qui l’emmène au bateau qui l’emmenera au loin. Ce matin, il a bu un bol de soupe avec une grosse tranche de pain couverte de miel. S’il n’avait pas cette barbe qui le rend si beau, il se serait rasé de prés. Il a enfilé l’uniforme que le gars de l’intendance lui a lancé hier. Tiens c’est ta taille. Il a salué le chat roux qui traversait le long dortoir, déjà si tôt, les bruits perçaient les vitres, scie, sirène, silence. Il a passé le pantalon de toile rêche, la marinière, la vareuse, s’est regardé dans le petit miroir au-dessus de l’évier de pierre, a demandé à Paul ça va comme ça ? Bien sûr ça va, qu’est ce qui pourrait ne pas aller et puis il ne sait même pas ce qu’il va faire de cette première journée, cet embarquement il en rêve depuis longtemps, d’abord parce qu’il veut se débarrasser au plus vite de ce service militaire si long, Dans sa vie d’après, il se verrait bien maréchal-ferrant ou cuisinier, en fait il n’en sait rien, les chevaux, ce serait comme un souvenir d’enfance, la tristesse de la cour, les parents pas si drôles, il parlait au cheval blanc, De la navigation il sait les lourdes chaines, les ordres hurlés, la brutalité des histoires peut-être drôles racontées de retour au port, les enfants mousses effrayés par la montagne d’eau qui s’abat sur le pont, le court repos entre deux relèves de filets, la puissance inquiétante du cabestan. La passerelle du grand bateau est devant lui, il s’y engage, timide et fier, il suit la petite file de matelots promis comme lui aux grands espaces, ils avancent pas à pas, se frôlant autant que s’évitant, ce seront ses camarades de bord, il les regarde, allongés, courts, venant comme lui de fermes, de la ville, personne ne dit rien, glissement de lourdes godasses sur le bois irrégulier, personne ne connait personne, personne ne veut connaitre personne. En bout de passerelle, deux gaillards encasquettés vérifient les papiers d’enrôlement. Il les a soigneusement pliés dans sa poche la plus sûre, rien ne devait leur arriver. Quelques rangs devant, un grand garçon brun, profil d’aigle, élégant ne les retrouve pas, il discute mais non, si tu ne les as pas, tu ne montes pas dans ce bateau. Va les chercher chez toi, Un chez moi ? je n’en ai pas, depuis que je suis à Brest, je passe mes nuits avec des gens bizarres que je ne connais pas, ils m’ont fait une petite place pour dormir, je ne saurais même pas y revenir. Débrouille toi, on laisse rarement quelqu’un à terre. Ça bouscule, ça pousse, ça tangue et au moment de mettre le pied sur le bateau, à la jointure avec la passerelle, Yves trébuche lourdement et tombe sur son bras droit. Oh rien, mais un surveillant l’a vu. Il faut voir le médecin qui te dira si tu peux partir avec ça. Mais ce n’est rien, c’est jamais rien mais tu te vois grimper dans la hune t’aidant d’un seul bras ?
Merci pour ce texte Bernard autour de Yves et son bateau que je n’accompagnerai jamais en voyage ayant trop le mal de mer ! Bonne journée.
Merci Clarence. C’était parti pour raconter une banalité dans le 11ème et c’est arrivé en bout d’une passerelle en partance pour un long voyage.
ah oui s’il y a encore une hune où grimper….
pourra pas le si beau matelot (à propos pour l’avenir : coq du bord ? allier cuisine, mer et pas de manoeuvres… ça lui irait ? bon pas si facile la cuisine en mer)
Ah oui, ça lui irait très bien, chouchouté dans la cuisine et puis coq c’est un joli nom. Je garde ! Merci Brigitte.