Elle a ouvert les deux miroirs extérieurs de la pharmacie murale (le miroir central manque depuis des lustres, avouant le stock de médicaments génériques dont elle abuse, où voisinent paracétamol périmé et codéine douteuse, somnifères surpuissants et anxiolytiques inefficaces, pommades anti-inflammatoires et compresses vaguement stériles), a tenté l’aventure d’un chignon (constatant à nouveau le débarquement d’une horde de cheveux gris qu’elle dissimule vaille que vaille, ses gestes se révélant encore imprécis d’avoir trop lourdement dormi) dont elle a vérifié la tenue en pivotant son cou (auquel un collier de fausses dents de requin vient d’être accroché auprès d’un autre collier de fausses pièces de monnaies) vers la gauche puis vers la droite (faisant tinter les boucles d’oreilles qu’elle met toujours en premier, pourquoi elle l’ignore, sauf que ces boucles d’oreilles, suites d’anneaux dorés imbriqués les uns dans les autres comme pour un tour de magie, ont appartenu à sa mère et c’est juste une raison suffisante) puis vers la gauche à nouveau et ainsi de suite un certain nombre de fois, jusqu’à ce qu’elle abandonne toute velléité de perfection dans l’art de se composer une tête présentable, une tête qui conviendrait au plus grand nombre ou, en tous cas, à un nombre suffisant de regards intéressés, de torses qui s’arrêtent quelques instants, de jambes qui n’ont pas que ça à faire, de sexes qui sont prêts à entrer.
Elle a refermé le miroir de gauche, elle a planté ses yeux dans son regard, elle a détaillé pour la cent millième fois ses yeux vairons (combien de rires moqueurs dans l’enfance dont elle s’est enfuie, combien de compliments intéressés à l’université dont elle s’est éclipsée, combien d’allusions salaces dans les premiers boulots dont elle s’est absentée, combien de flatteries avinées au bar de la discothèque où elle a atterri sur les conseils malveillants d’un amoureux violent, combien de remarques déplacées dans la chambre où cet amoureux irascible l’a installée et dont elle voudrait s’évanouir, mais comment et pour aller où et faire quoi et avec quel argent), elle a mis du mascara (il en arrive par boîtes entières tombées du camion) sur ses longs cils, elle a posé du rouge carmin (aussi des boîtes entières avachies sous l’évier) sur ses lèvres gercées en ce matin d’hiver.
Elle a souri (pas trop, une molaire manque).
Elle a vérifié son regard aguicheur (le désir est une mascarade).
Elle a renoncé au vernis à ongles (celui d’hier fera l’affaire).
Elle a refermé le miroir de droite.
Elle a éteint la lumière.
Elle est descendue.
Elle a allumé les néons.
Elle s’est posée sur le tabouret.
Elle attend.
Une amie qui travaillait dans la branche appelait ça du « trompe-couillon » – mais je fais le lien de cette mascarade au fard à cils – j’ai vaguement pensé à ce film « Party girl » – ambiance néonique blafarde et désespérée…
Pas vu ce film. Je venais de commencer le livre « Putain « de Nelly Arcand. J’étais dans une certaine ambiance, une certaine confrontation à ces solitudes…
Ah oui je me rends compte que ce que j’écris prête à une certaine confusion – l’amie en question travaillait dans une enseigne de maquillage ( Yves Rocher…)
Il ne serait pas honteux d’avoir une amie qui travaille dans la branche, fusse-t-elle sous des néons.
La solitude au miroir est là. J’aime comme le texte s’évide jusqu’au blanc de l’attente.
J’ai d’abord écrit : « Elle attend dans le blanc de sa vie ». J’ai réduit à la solitude ultime sans chercher l’image. Merci pour la lecture.
aime
la masse des deux premiers blocs avant l’échelle descendante vers le elle attend
et la justesse surtout du bloc inaugural (ses gestes se révélant encore imprécis d’avoir trop lourdement dormi..)
Merci Brigitte. La structure s’est imposée par rapport au personnage comme se réduisant juste à cette attente. n’être plus qu’attente. Déshumanisation.