Do . La note au centre du clavier. Une évidence. Celle qu’un tout jeune enfant encore vierge de musique tapotera en premier sans parvenir à l’enfoncer puis trop faiblement pour que les cordes ne vibrent. On l’entendra finalement résonner petit au fond du corps de bois do de plus en plus fort do do do do ré do ré do avant que la pression ne s’équilibre et qu’enfin après quelques mois do ré mi fa sol la si do si la sol fa mi ré do bien suivies, parfaitement dosées presque chantantes, mains perpendiculaires au clavier monter trois doigts, faufiler le pouce sous la main sans la tordre, fa, relâcher le poignet étaler les phalanges vers l’aigü, do, suspension, redescendre jusqu’au pouce croiser le majeur au-dessus, conclure, mi, ré, do.
On débute par les touches blanches. D’emblée, le blanc, c’est la simplicité. Les touches noires sont pour plus tard entend-on. On imprime : noires difficultés. Vingt ans après le conditionnement perdure. Les tonalités en mi bémol ou sol bémol, touches noires, panique…. Latence, honte, jouer du bout des doigts par peur de faire une fausse note, fausse note, on poursuit, on jette des regards effarés au groupe, m’entendez-vous ? On m’ignore, on continue de jouer sur les noires sans moi qui m’emmêle et navigue maintenant à vue tentant vainement de retrouver le propos, visualiser la bémol si bémol do, ouf! Changement de tonalité, retour aux blanches, je cours, je passe au dessus, en dessous, je tricote, je virevolte, on m’appelle, on dialogue, on me clin d’œil, on se tait pour me laisser à ma blancheur, celle de l’enfance musicale qui débute par la maîtresse de toutes, do, l’équilibre parfait, la première gamme qu’on monte et qu’on descend arpège noire croche double, doigts arqués au bout d’une main plate, non bombée, plate, y faire tenir un carré de chocolat sur impromptu presto, le manger s’il tient avant qu’il ne fonde sinon mangé par le maître. Poignets souples souples souples, coudes distants du corps d’une demie main le long du buste droit, fesses immobiles et pieds à terre, ancrés, interdiction totale de bouger, battre la mesure à l’intérieur. Inéluctablement mes orteils bondissent comme autant de petits rats pas de bourrés grands jetés, entraînent mes genoux qui secouent mes pieds qui tapent maintenant tous les uns, …, trois, …. et un….. en vacarme au désespoir du maître. Je me décale, le rythme fuit mon insolente danse du corps, repasse faussé dans mes jambes qui diffuse jusqu’à mes doigts un charabia insupportable. Do ou pas, blanche ou noire, l’énoncé est sens dessus dessous. STOP crie le maître on reprend ! Je retourne à ma gamme, majeure, blanche, j’égrène du bout des doigts do ré mi fa sol la si do si la sol fa mi ré, do.
Une note, et la main sur cette note que l’on suit cheminant, apprenant, reprenant. J’ai beaucoup aimé le regard insistant sur ce clavier, sur les mains sur le clavier, et j’aurais peut-être aimé que le texte reste un peu plus longtemps sur cette exploration, la main, le geste, le son, avant que la focale ne s’élargisse sur le reste du corps.
Merci pour votre lecture attentive Laure et ce retour que je comprends comme prendre le temps de mieux regarder, il y a tant a dire. Je le garderai en tête pour de prochains textes.