Cette proposition 4 me tanne. Dix fois que je recommence. Mais rien. C’est désolant. La difficulté se situe dans l’obstination pavlovienne de ce dialogue intérieur à s’interposer entre les petites choses et mon regard.. Alors qu’à l’origine, c’est très simple. L’idée est simple comme bonjour. Encore que bonjour ne soit pas toujours si simple qu’on le pense. Bref. Le marcheur marche. Depuis le seuil. D’un immeuble. Vers une bouche de métro. Voilà le sujet qui pourrait faire 160 pages au bas mot. Mais pourquoi faut-il que l’on supporte le discours intérieur d’un narrateur ce faisant. Par quoi le remplacer ce monologue. Peut-être judicieux de décrire, par le menu, la douleur. Car c’est un angle d’attaque. Le point de vue de la douleur, ça pose le personnage sans doute. Très à la mode. Alors disons que ça commence dans les chevilles pour parvenir dans les genoux. Fort à faire déjà dans ce premier temps. On pourrait étaler sa science par exemple. Nommer chaque muscle de la guibole depuis le tibial antérieur de l’avant-jambe, l’extenseur des orteils, le long extenseur de l’hallux dit communément Grand Droit, le court extenseur des orteils, etc. Mais non, pas drôle. Faudrait au moins que ça soit drôle en tout cas pour moi de l’écrire. A moins que je ne trouve soudain une ambiance, et tout de suite associé à celle-ci un ordre particulier pour en résumer la litanie. Comme anciennement face à la classe. Oui c’est ça. Devant le tableau noir. En récitant. Les mains derrière le dos. Avec si possible l’épée de Damoclès du coin et du bonnet d’âne— Les muscles de la jambe sont , du pied à la cuisse, le tibial antérieur, l’extenseur des orteils, le long extenseur de l’hallux, le court extenseur des orteils, le fibulaire antérieur, le tibial postérieur, le long fibulaire, le fibulaire postérieur, le triceps sural, le poplité et les muscles plantaires… Mais peut-être suis-je en train de griller les étapes. Maintenant que j’y pense, c’est bien trop rapide. Rappelle-toi. Reviens là. Assis. Pas bouger. Bon Toutou ! Tu es le narrateur. Tu sors sur le seuil d’un immeuble. Ah ouais. Et il est comment ce foutu seuil. Mettons que nous fussions dans la bonne ville de Paris. (Je n’ai même pas cité la ville, quel laisser-aller) Et l’immeuble. Il est comment. Bien sûr il est de style Haussmannien. Pourquoi pas. Et donc, d’y aller de ce souvenir livresque—la plupart de mes souvenirs ne sont plus que livresques à présent— des caractéristiques de l’architecture haussmannienne « Le seuil, ou l’entrée principale, d’un immeuble haussmannien est généralement orné de détails architecturaux raffinés. Il est souvent surélevé par rapport au niveau de la rue, créant ainsi un sentiment d’élévation et de grandeur. Des marches en pierre ou en marbre mènent à une porte d’entrée majestueuse encadrée par des colonnes élancées ou des pilastres richement sculptés. Par contre, impossible de me souvenir où j’ai lu ça. Mais non décidément, ça ne va pas. Mais pas du tout. D’abord parce qu’en premier lieu, je voudrais me passer de faire appel à un souvenir livresque de seuil haussmannien d’immeuble parisien. Je sais que je suis vieux. Mais je ne suis pas non plus un ancien combattant (merde) . Pas plus qu’une sorte de rat de bibliothèque. Secundo, il se trouve que c’est certainement de la frime. Un truc super rodé depuis des années. Faire appel à la référence je veux dire. Quelles sont vos références —ma petite bonne bretonne. D’une lecture notamment concernant les foutues caractéristiques d’un seuil d’immeuble haussmannien. Non, décidément. ça ne va pas du tout. Rien ne va. En fait, il est préférable que je sorte de l’immeuble pour aller voir directement de quelle nature est ce seuil. Sauf que je ne peux pas, je n’y habite plus. J’habite désormais une maison de ville dans un village ravitaillé par les corbeaux. Je suis à deux doigts de me morfondre je le sens. un, deux, ça y est je me morfond. D’un autre côté, je peux tout à fait ouvrir la porte de la maison, baisser un peu la tête, regarder mes pieds, je verrai un seuil. Ce serait suffisant pour commencer. Par contre, il faut que je change de but . La bouche de métro ça ne va plus. Je ne suis pas Sylvain Tesson, je ne parcours pas des bornes et des bornes pour écrire un bouquin. Je pourrais peut-être me rendre à la Gare. tiens. Décrire le merveilleux village dans lequel j’habite, toutes les boutiques à louer ou à vendre. La nouvelle agence immobilière Plaza qui flambant neuve détonne dans le décor lugubre des façades noires tout autour. Et puis cette place magnifique— qui ne sert absolument à rien du tout , que la municipalité a mis deux années à construire et qui depuis lors créer un bazar prodigieux pour se garer dans le coin, car autrefois c’était un parking. Un très grand parking. Et puis autrefois aussi c’était là que le marché, un très grand marché s’installait, deux jours la semaine. Alors que maintenant, juste quelques stands de fringues, de trucs chinois, de bidules inutiles. Enfin, j’anticipe. Je vais toujours bien trop vite. Il faudrait que je m’attèle à décrire mon premier pas, tout simplement. Le premier pas pour me rendre depuis ma maison jusqu’à la gare. Voilà. Je recommencerai demain. j’ai encore du temps. La proposition suivante vient le dimanche
Ça me plaît cette 4 à rebrousse poil. Et le mot poplité.
oui, écrit à rebrousse-poil mais jubilatoire ! super !
Merci pour ce texte qui m’a fait rire de si bon matin, d’un rire tendre.
J’adore. Et encore plus ce « village ravitaillé par les corbeaux ». Merci Patrick. Tu as tout de même la chance d’avoir une gare dans ton bled.
j’adore aussi mais tout
et surtout ce sacré discours intérieur