Parce que je bois beaucoup ces jours-ci, alors la grande carafe sur la table, la grande carafe est parmi tous les autres objets, la théière le tas de papiers, un tas de papiers pas bien alignés et puis le clavier aussi et les tâches de gras sur les touches et la grande carafe est parmi tout cela que l’on pourrait appeler fourbis mais est-ce bien un fourbis, si chaque chose est à sa place, sans symétrie mais à sa place, car c’est ce que je me dis quand je tend la main vers la grande carafe, vers cette verticalité inattendue qui surgit de toute cette horizontalité, du clavier, des monticules, il est des monticules en effet que l’on pourrait dire plats, plats en effet comparés au surgissement inattendu de la carafe, grande carafe élancée et transparente qui contient en début de journée un litre et demi ou serait-ce deux litres, ce que la transparence ne dit pas, c’est bien le volume, le volume s’efface dans la transparence, le volume que l’estomac lui pourtant et la vessie aussi elle pourtant le volume que l’estomac puis la vessie contiennent, intègrent, dissolvent, ce qu’ils contiennent et traduisent quand eux ne retiennent jamais dans leur opacité, la transparence, car s’il est une qualité que l’estomac, l’œsophage et la vessie n’ont pas, peinent à comprendre, c’est bien celle-là, celle de la transparence, cette carafe pleine, la main la saisit cette main tendue, suspendue à la croisée entre l’horizontal et le vertical, ce mouvement qui interrompt, qui défie la brutale immobilité des objets, immobilité qui alors vacille, ou alors ce sont les objets ou cet ensemble, ce bloc visuel qui vacille, arraché à son immobilité quand cette main se tend vers la carafe, l’incline et verse l’eau dans la tasse, c’est que j’ai soif, toute la journée j’ai soif et la carafe se vide au gré des heures qui défilent, quand le temps minuté des visioconférences s’écoule à l’écran, la carafe se vide comme un sablier ouvrant une autre temporalité, celle du corps qui absorbe, celle du physique, du tangible quand l’écran laisse lui filtrer un monde complexe, segmenté, fermenté presque pourrait-on dire si la fermentation n’était si vivante, filtrer oui, comme une vitre teintée filtre la lumière, une lumière appauvrie, différente, simplifiée, et face à cet écran un corps s’anime, avale l’eau, à l’intérieur un monde mystérieux sans doute de porosités, d’échanges osmotiques, univers vertigineux d’échanges muets, un monde qui se passe d’adjectifs que la langue trop souvent qui découpe et désigne, qui témoigne, que la langue elle inflige, langue qui s’agite et formule des phrases insensées face à l’écran, face à l’écran.
J’ai eu du mal à entrer dans ce texte. Cette fois, les virgules n’y sont pour rien. Dû m’accrocher, jusqu’à ce que l’horizontalité devienne un devant et la verticalité un dedans. Langue qui découpe et désigne vs porosité, échanges osmotiques. On entend alors, à la toute fin, une émotion qui était contenue jusque-là.
Oué, c’est qu’on a sans doute vu plus inspiré.