Comme d’enfiler un fil sur une aiguille. En louchant un peu. En tenant bien à l’horizontale l’extrémité du fil préalablement mouillée de salive, et passée entre les lèvres pincées, pour la rendre aplatie le plus possible. Les lèvres restent pincées le temps d’enfiler et selon le chas, selon la qualité du fil, la tension des brins, selon la sûreté du geste et de l’œil, surtout ne pas trembler, ne pas dévier, aller droit, car il s’agit de cela pour enfiler un fil, aller droit et sûr, d’un coup, selon tout cela qui vient d’être dit pêle-mêle, on devra parfois s’y reprendre à plusieurs fois. La satisfaction – la fierté – l’assurance d’être dans le droit chemin quand du premier coup ça passe. Au contraire l’énervement, la certitude que ça y est, que pour un quart d’heure on en a – jamais un quart d’heure ça ne fait, c’est une expression n’est-ce pas ? – si un des brins du fil se rebelle se rebique s’effiloche, se réfiloche sans fin – autant le couper tout de suite, net, tout recommencer.
Et puis le dé. Le dé à coudre. La petite armure du bout du doigt et la grand-mère racontait qu’adolescente elle avait pris des verrues sans doute comme ça, en se passant le dé de doigt en doigt, le doigt d’une le doigt d’une autre, à son époque on disait plutôt les jeunes filles que les ados, et pour les adultes : les grandes personnes. Bref, les verrues. C’est peut-être pour ça que la petite-fille (au sens généalogique du terme), petite fille devenue adolescente puis adulte, pendant longtemps n’avait pas voulu utiliser de dé à coudre. D’ailleurs à son âge – âge au sens d’époque, comme le Moyen Âge – les adolescentes ne cousaient plus tellement, elle savait à peine faire un ourlet, recoudre un bouton oui quand même, et puis au collège on lui avait fait faire des travaux pratiques, confectionner un sac en bandoulière avec des chutes de toile de blue-jean, mais elle aurait été bien en peine de faire boutonnière – à un vêtement s’entend, encore plus eût-elle été incapable de trouer la peau de quelqu’un avec un fleuret comme un mousquetaire. Plus tard elle avait fait de menus travaux d’aiguilles, jeune maman elle avait même cousu des déguisements pour la fête de l’école, et oui quand le tissu un peu épais nécessitait une force que l’on n’était pas sûre de maîtriser, elle avait jugé utile de se protéger l’extrémité du doigt qui recevait la pointe de l’aiguille. Son index, son majeur devenaient des chevaliers en miniature, la tête ceinte d’un heaume mais sans cheval ni haubert.
Qu’ils devaient faire peur, les chevaliers, en vrai, aux couturières du Moyen Âge. Hommes de métal. Homme de sang et de métal. De taille, d’estoc et de métal. Des hommes de fer. Des cuirassés articulés. Des saigneurs hérissés des pics des pointes des tranchants de leurs armes. Pas de piques, les piques étaient les armes des paysans. Mais des haches et des épées et des masses d’arme et des fléaux. Du fer qui entre et du sang qui sort.
Elle n’avait qu’une fille qui jamais n’avait voulu se déguiser en chevalier. Une fille à la peau brune qui vers trois ou quatre ans leur avait dit, papa, maman, pour la fête de l’école je voudrais un costume de Blanche-Neige et ils s’étaient regardés, et le soir en avaient discuté, est-ce qu’elle risquait, noiraude comme elle était, de se faire moquer d’elle en costume de Blanche-Neige. Mais non, tout s’était bien passé, depuis l’enfilage de l’aiguille sur le fil pour raccourcir le costume acheté – quand elle avait dit Blanche-Neige, elle pensait : la robe du dessin animé, pas question d’un costume maison – jusqu’au jour du carnaval dans la classe de maternelle, car à l’âge des enfants, le taux de mélanine n’atteint pas le cerveau, et les idées obscures n’ont pas encore déteint sur les neurones – ça viendra bien assez tôt.
Les princesses pour les petites filles maintenant sont toutes formatées, il ne faut pas changer d’un fil, et dans les boutiques de souvenirs des châteaux et des musées, on trouve, bien qu’en bois, surtout des épées.
Imagine : un carnaval où les garçons rêveraient tous d’un costume de paysanne, et les filles de se déguiser en palefreniers.
j’ai admire et au passage j’ai souri à tout ce qui indiquait qu’elle venait d’u temps, d »un âge (moi je dis généralement d’un monde) que l’on ne connait plus, mais tout de même d’après le moment où on a pu grandir sans savoir faire une boutonnière
et puis le sourire agrandi en savourant le dernier paragraphe
contente de t’avoir fait sourire… écrire et tout devient possible…
J’adore la transformation du dé en heaume, des doigts en chevaliers. Et merci aussi pour m’avoir fait retrouver en pensée ma grand-mère, couturière, qui avait son dé à elle, ne le prêtait jamais (pas question de jouer avec non plus, outch !) et n’en supportait aucun autre. Mention spéciale pour la pique chevaleresque du dernier paragraphe 😉
Merci Juliette pour ta lecture !
J’allais écrire que j’aimais l’enchaînement du doigt avec son dé- heaume, aux armures bardées de lances et d’épées ( Juliette l’a écrit plus haut) Le dé j’ai aimé le regarder comme la miniature d’autre chose ( un heaume? Un seau de souris? . « « « ReCoudre ton ourlet mais tu rêves ma chérie, alors coudre une boutonnière ! ». Pour les déguisements de la colle et des agrafes des costumes toujours un peu trop décalés …. J’allais écrire que j’aime l’humour du texte . Brigitte a souri. Merci Laure
Enfiler un fil, l’assurance d’être dans le droit chemin, je n’avais jamais envisagé la chose ainsi, et le brin du fil qui s’effiloche mais on s’acharne au lieu de le couper…j’ai beaucoup aimé et le dé et le déguisement aussi, drôle et juste, merci.