#gestes&usages #04 – 4 | la main

Et ce matin elle se fige. J’avance le bras vers le téléphone index pointé, elle demeure inerte, comme paralysée, engourdie ou tétanisée, pas molle, ni flaccide; elle ne s’écroule pas à partir du poignet, les doigts ne retombent pas mollement : ce relâchement, cet abandon au moment de la mort (enfin tel que l’interprètent les acteurs) : « celui du basculement d’un monde vers l’autre et la main s’amollit, elle cède, elle retombe lourde et tout le corps s’absente », avait-elle dit qui accompagnait les mourants. Ou la main du sommeil profond, celle qu’ on peut déplacer sans craindre de réveiller le dormeur, cette main de l’amant devenue soudain exsangue : cette main glissée sous tes côtes, qui t’enlace, sa main que tu écrases sans le vouloir en inspirant. Et tu entends le souffle, la respiration s’amplifie, elle ralentit. Il est endormi à présent, ses phalanges entrent dans tes os, cet inconfort, sa douceur, dont tu vas te défaire, pour glisser hors du lit, replacer la main sans la réveiller, sous le drap, bien au chaud, sortir sur le balcon allumer une cigarette… Ou la main de l’enfant dans la tienne, vous êtes dans le train ou l’auto, de l’autre main vous désignez les choses, ce défilement et la lumière crépite : arbre, oiseau … là regarde ! D’un coup, la main dans ta main, sans rien dire, cette main minuscule potelée et chaude devient molle, elle s’absente; l’enfant rêve. Une biche traverse le champ, tu ne le réveilles pas, tu gardes sa main endormie dans la tienne et tu t’endors. Mais ce matin ta main se fige. Bien réveillée, douchée, alerte, elle s’arrête net. Au bout du bras ancrée dans la posture, ajustée au poignet, elle s’arrête juste avant de taper les lettres, elle se cloue sur place. Ta main droite. La gauche tient le téléphone… Comme dans la pose le modèle arrête le mouvement le fige pour l’offrir? – ce mouvement suspendu – Comme un arrêt sur image ? Pas tout le corps, juste la main. Juste la main stoppée net : un cheval devant l’obstacle qui refuse. Ta main se braque, elle ne t’obéit plus. On peut dire que ce matin elle n’y va pas de main morte: écran noir. Elle te désarçonne. Être soudain aveugle sourde muette de la main. Paralysée. Arrêt des machines ! Ta main se rebiffe : la Chaine se fige (on les aurait délogés manu militari. Il y aurait eu des blessés, une répression sanglante)… Ce matin ma main se fige et j’ai peur. Elle a pris les manettes à rebrousse poil. Elle fait de la résistance passive et ça marche. Ma main a pris les commandes : Elle n’en fait qu’à sa tête (si elle allait se prendre pour un chapeau? )

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

5 commentaires à propos de “#gestes&usages #04 – 4 | la main”

  1. J’aime beaucoup ce « je » qui n’intervient qu’en début et fin de texte laissant aux mains successives la place de sujet face à un « tu ».

  2. superbe texte, c’est très réussi ce centrage sur la main, les mains qui racontent les différents personnages. Avec cette chute : « Ma main a pris les commandes : Elle n’en fait qu’à sa tête (si elle allait se prendre pour un chapeau? ) » C’est réussi.

  3. si belle litanie de mains molles – et l’inquiétude finale (et on croit partager chacune de ces mains… sauf la mort, vie pas touchée… et la main non paralysée mais indocile sur le clavier.. alors les mots frappent encore davantage)