Ils sont quatre posés sur une étagère. Rangés par ordre de taille. Tu ne connais pas leurs vrais noms, juste leur nom de famille, la grande famille rabot. Les bois sont différents puisqu’ils sont tous en bois, encore étiquetés, semelle indécollable, de longueurs différentes, à poignée ouvragée comme des manches de scies ou sans poignée du tout ou bien juste un poussoir pour y caler la main entre pouce et index avec un bout de paume. Pour les fers, autant de différences, entre grandeur et angles, un coin en bois comme cale ou parfois contre fers pour plus de précision. Au sujet des rabots, tu sais quand même un minimum de choses, qu’il faudrait démonter, huiler et nettoyer, bien affuter les fers, et puis tout remonter et essayer de régler. Ensuite pour le mouvement, juste par curiosité, tu jettes un petit coup de pouce sur l’écran froid et lisse qui te montre des vidéos. Les cadrages te chagrinent, tu voudrais voir en vrai, pouvoir te concentrer sur le corps en entier et pas juste les mains, au mieux juste le buste coupé par l’établi. Alors tu imagines en prenant ce que tu sais d’avoir déjà vu faire et puis ce que tu vois dans ces vidéos-là. Avec ces rabots-là, il te faudra pousser, te caler confortable sur tes pieds bien à plat, décalés pour donner de la stabilité, à toi comme à l’outil qui devient maintenant une partie de ton corps. Une main sur la poignée à l’arrière du rabot, l’autre sur le bouton, sur l’avant du rabot. Les bras un peu pliés pour garder la souplesse, les épaules distribuent le poids de tout le corps, la tête s’incline un peu pour regarder devant et tracer d’un coup d’œil la route de l’outil. Au début du travail, il faudra peser lourd pour n’attraper pourtant que les aspérités, les sommets intrépides des inégalités. Au fil des passages, tu retires du rabot des grains de sable grossiers, des guenilles de copeaux puis des rubans si fins qu’on verrait à travers. Tes épaules pèsent moins, tes jambes se détendent même si elles gardent toujours la position du stable. Tes bras se font plus souples, s’éloignent un peu du corps, et tes mains se décrispent, elles poussent sans agripper. Quand le rabot découpe enfin de longs copeaux, tu t’arrêtes, tu regardes, pour fignoler encore. Un copeau inégal, trop épais d’un côté ou bien trop fin de l’autre, il faudra attraper le tout petit marteau et tapoter doucement, la main collée au fer, l’index sur la tête pour éviter l’excès qui ferait basculer l’épais de l’autre côté et le trop fin de même. Maintenant que tu approches de la fin du travail, il te faut avancer avec discernement, ne passer le rabot que pour égaliser, presque le laisser glisser en appuyant à peine. La règle dira le plat ou qu’il faut encore là, mais juste un coup léger, parce qu’il ne manque rien, vraiment qu’un petit rien. Enfin le plat est là, tu poses le rabot doucement sur l’établi, retirer les copeaux et les petits morceaux qui pourraient peut-être encore obstruer la lumière, tes jambes peuvent enfin changer de position, et se détendre un peu. Maintenant tu peux enfin passer le bout des doigts, des trois doigts du milieu, sur le bois lisse et doux. Parce que la règle dit le plat, mais seule la main chuchote le soyeux velouté du bois bien raboté
La suite de mes histoires de bois, et toujours la grande question de la documentation, de savoir de quoi on parle, de l'expertise nécessaire et souvent insuffisante... Alors ici pirouette vidéo, vous faites comment, vous, pour parler de ce que vous ne savez pas faire ?
Merci j’aime beaucoup, je me souviens.
Merci !
histoires de rythme, de mesure, le travail bien fait, la finesse sous les doigts
quelque chose qui te va bien, que tu réussis à merveille, passer de la technique aux mots, à la poésie du geste…
Oui, juste le thème qu’il me fallait, histoire de voir jusqu’où on peut pousser les gestes, sans savoir les faire soi-même…. Ça me chagrine cette idée de parler de ce qu’on ne connait pas, alors que quand on écrit, à part la biographie… Enfin, plein de questions, la grande force des ateliers de François, ils nous font réfléchir
passionnant. c’est comme si le temps utilisé du présent au futur et retour au présent racontait aussi ce qui se passe dans la tête de ce « tu »,tout d’abord observant, puis se projetant dans la tâche et les gestes à accomplir et enfin faisant.
Oui, le glissement s’est fait presque tout seul alors que j’étais plus ou moins partie pour rester dans la peau de qui observe… Tant mieux si ça marche ! Merci de ton retour
J’aime beaucoup. L’outil et le corps . L’outil et la main. On sent si bien tous les ajustements. Et puis à la fin on a aussi l’envie de caresser le bois.
Oui, c’était pas dans la proposition, le toucher, mais pour moi c’est un peu comme le grand verre d’eau à l’arrivée de la course, la récompense du travail bien fait…