Le bout de la semelle du soulier gauche touche le sol un rien meuble, juste assez pour maintenir l’équilibre presque aérien. La jambe en position de caducêtre et la plante du pied sont légèrement fléchies, assurant par leurs légères variations une fonction de ressort. La fatigue des cuisses se fait sentir, cette pose participe d’un étirement et d’un délassement général. Le pied droit est en appui sur la pédale, incliné vers l’avant un peu au-delà de la verticale. Cette jambe-là est repliée vers le torse, prête à déployer le mouvement suffisant pour repartir dans la magnificence d’un laisser-aller. À l’arrêt, les deux jambes sont pour l’instant presque perpendiculaires, étirant les psoas. La roue avant et le guidon haut sont légèrement tournés à l’opposé de la jambe en appui. Les coudes sont repliés vers le guidon, dans une position aérodynamique. Les bras ne portent pas le corps et ne se soucient que de maintenir la direction. Le tronc est lui complètement détendu, à son aise dans une chemise claire, en appui sur le dossier qui évacue bien la sueur. Un proverbe dit mieux vaut être allongé qu’assis. Le regard file droit, ouvert à ce qui arrive. Des lunettes de soleil rondes et un béret protègent du soleil haut dans le ciel. Une voiture et un homme à pied apparaissent en arrière fond sur la route non goudronnée. Les lignes abruptes du reliefs s’entrecroisent. Un abri de pierre avec des tas de planches borde le cadre de la photo. Elle est prise le 18 août 1934 au barrage du Chambon, sur la Romanche, un peu avant le tunnel de l’infernet. Le ciel est clair. G.S. s’est arrêté pour boire une canette que lui a apporté un ami. Il est en train de descendre les cols du Galibier et du Lautaret à toute berzingue. Après les efforts des premiers jours pour s’adapter au pédalage horizontal qu’il avait encore peu pratiqué, il se sent maintenant confiant dans le succès de l’entreprise. Ses muscles s’adaptent mieux à la souplesse du plus petit développement en montée, aux grands braquets en descente. Il a appris à se détendre peu à peu, concentrant la tension aux muscles nécessaires, ménageant s’il le faut ses genoux et son pouls grâce au jeu du dérailleur. On dirait qu’à la montée il se pense parfois comme un arc, ou un nourrisson, poussant avec jubilation autant sur son dos que sur ses jambes. Quand il accompagne ou croise des vélos droits, il peut mieux les observer, et s’étonne des cambrures, de la crispations des bras ou de la nuque qu’ils produisent. Les tandems mixtes sont les plus curieux à observer, par leur cadence similaire et les différences de style.