#gestes&usages #01 | Une touche de gaité

À cause du vert, tout le monde est fâché en deux équipes. Ceux qui ne veulent plus le voir en peinture du salon, mère-père et Queeny surtout, et sinon Malice et moi, qui n’en voient pas d’autres pour le salon. Le salon, il faut le refaire, là, on a l’unanimité, à cause de l’eau qui a coulé pendant la maladie de la maison. On aurait cru à une dispute, que Malice ne voulait jamais rien faire dans la maison, qu’elle laissait perdre, mais pas du tout, Malice a appelé des funambules pour le toit qui dégoûtait en moins de deux. C’est quand il a fallu les peintres avec des échelles de couleurs que ça s’est gâté, couleur de fruit pourri du fond du jardin : on donne un coup de pied dedans et plein de moucherons s’envolent. On dirait des cyclistes pendant que la chaussure toute sale reste là comme un camion qui s’est fait couper l’herbe sous le pied au démarrage et qui a pitié des petites bestioles à roulettes, malgré tout. Mère-père, là, ils ont fait claquer la roue des couleurs sur la table bâchée, c’était pire que de crier pour le cœur, c’était le tonnerre qui met les jetons, tout seul, dans la petite chambre du grenier. Leur couleur mère-père l’appellent « coing d’automne », Queeny dit que Malice n’a aucun goût, qu’elle n’a jamais eu aucun goût et c’est parti pour la fois où elle a mis des carreaux avec des fleurs. On ne comprend pas le problème, mère-père disent qu’on comprendra plus tard, et Queeny que les garçons ne comprennent jamais. Plus tard, c’est un peu jamais de toute façon et on n’aime pas les coings et on est avec Malice pour le vert pareil. Queeny répète : « Saumon ou pêche, ça apporterait une touche de gaité ». Ça fait rire avec Malice, on dit entre nous que Queeny est gaie comme un lampadaire. C’est des mots qui font rire. On a raison d’avoir peur de l’orage : le vert, dit Malice, ce n’est que la couche du dessus, et quand le vernis craque, c’est pas joli, joli… Là, elle en a assez devant eux : bon sang de bonsoir, c’est tout de même ma maison ! Eh oui, comme la maison de poupée est la mienne, avec son salon vert, puisque c’est moi qui joue avec. Malice, elle vit dans la maison, d’ailleurs on va chez Malice, si on va chez mère-père, c’est une autre adresse et chez Queeny, à l’hôtel. C’est bien la preuve que c’est la maison de Malice, bon sang de bonsoir ! Les autres voient ça d’un autre œil, ils ne voient pas le vert comme il est cher à mon cœur, plein d’histoires. D’ailleurs, si on écoute Queenie, le saumon et la pêche ce serait un pansement sur une jambe de bois, il vaudrait mieux tout vendre et d’abord pour Malice : à quoi ça rime à son âge les escaliers ? ça rime avec sanglier, mais on se jette seulement un petit regard en silence pour pas envenimer. Avec « tout vendre », Queeny fait toujours de grands cercles dans l’air avec son index, le bras levé, pour inviter la tornade à dévaster la maison de Malice. On a peur.

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

6 commentaires à propos de “#gestes&usages #01 | Une touche de gaité”

  1. d’ordinaire je me sens plutôt malice que pere/mère, mais là j’avoue à dépend un peu du vert… Bon évidemment, c’est la maison de malice

  2. oh merci pour cette saveur, ce sourire, et puis tout ce qui est sous ce sourire…
    incomparable

  3. « à cause de l’eau qui a coulé pendant la maladie de la maison »
    J’aime beaucoup ce texte Emmanuelle, et suis intriguée, toi qui es comédienne, de cet attachement au vert. A moins que le « je » de ton texte ne joue pas pour toi. Mais comme dit Véronique, ça dépend du vert. Et selon les pays (ça dépend) le vert attire l’orage, ou bien protège contre la foudre.

    • C’est peut-être parce qu’il est interdit en scène que je profite de l’écrit pour jouer un peu avec. Il est si difficile à éclairer sur un plateau…
      « à cause de l’eau qui a coulé pendant la maladie de la maison » me permet d’étendre ou de raccrocher à un texte précédent, la maison malade, https://www.tierslivre.net/ateliers/enfances-04-la-maison-malade/qui a été une véritable charnière dans ce projet. Notamment, rendons à César, grâce à l’attention que Catherine Serre lui a porté. François a bien annoncé que ce nouveau temps pouvait continuer le cycle Enfance, et je ne m’en prive pas. Au plaisir de te lire et merci pour ton passage dans le salon vert.