A cause de la douleur de sa disparition, de l’incompréhension brutale qu’elle entraîne, de l’absence injuste qu’elle installe, le monde n’est plus qu’un puzzle de fragments découpés mis sous verre, un mur d’images déchirées dont les collages ne livrent aucun sens et dont les couleurs n’existent plus. Mais il y a les odeurs qui demeurent. Il y a l’odeur résistante, persistante de la colle de poisson. La petite casserole immonde où têtes et arêtes de poissons se réduisaient dans une eau sale et puante. L’odeur aussi, plus noble, de l’huile de térébenthine prisonnière d’une collection de chiffons humides jetés partout. Oubliés, les gestes. Oubliés, les usages. Rien ne cicatrise. Rien ne se panse. Tout est accompli. Devenue veuve, la grand-mère ne voulut rien garder des traces de son époux. Elle mit tout à neuf son modeste appartement. Elle acheta même un canapé de couleur orange et un téléviseur qui ne connaissait pas encore les couleurs. Elle continua longtemps d’entretenir au savon noir les tomettes hexagonales rouges. Elle était heureuse aussi de ne plus avoir à cuisiner chaque jour la sauce de tomates que son mari avait toujours quotidiennement exigée avec ses pâtes. Désormais, elle pouvait aussi aller à l’église sans se cacher.
De la couleur à la douleur à la couleur. Belle avancée. Merci.
Je comprends mieux avec ton texte l’articulation et le mouvement qu il fallait donner. Merci Hugo
J’avais d’abord lu « à cause de la couleur de sa disparition », et cela faisait sens aussi, couleur qui efface les autres, mais qui permet aux gestes de la grand-mère de trouver leurs usages propres et non pas imposés. Sans renier la douleur.
C’est un très beau texte . Le monde déchiré. La blessure. Le canapé orange .Le noir et blanc des images et le rouge des tomettes. ( la couleur apaise-elle les douleurs?) et l’odeur violente des mixtures du peintre pour fixer les couleurs ?
j’aime que la douleur nous surprenne
j’aime aussi les deux faces du deuil
et toujours faussement simple, juste les mots, la syntaxe pour en dire preque plus que les mots – la force de la concision quand elle est nourrie de sens
elle m’a plu – couleur douleur – tomettes et tomates – beaucoup aimé le fait qu’elle ne se cache plus pour honorer sa foi (peu importe que j’y croie ou pas) (je me demande : elle me fait penser à la mère d’Annie Ernaux qui a failli y passer, un dimanche de juin…)
Grands mercis Jean-Luc, Gilda, Laure, Nathalie, Brigitte, Piero. Merci de vous.