A cause de la couleur des différents fils de laine qui s’entremêlent en un balai hypnotisant, à cause de la mélodie des aiguilles métalliques qui tapent, glissent, frottent et à cause surtout de la satisfaction de fabriquer un objet de ses propres mains, je me jette sur les genoux de ma grand-mère et je m’y fais une place douce et confortable en lui demandant enjouée : « Mamie ! Apprends moi à tricoter ! ».
Mais nous sommes en plein été à Marseille et il fait 36 degrés. Enfin, à cinq ans, couverte par mille pelotes et entourée des bras aimants de mamie j’aurais même dit 53 degrés ! Je n’ai pas tenu très longtemps mais pour ma grand-mère il était habituel de tricoter toute l’année, même à la plage. J’étais fascinée par l’habileté de ses doigts.
C’est avec elle que j’ai passé ma petite enfance. Avec elle dans la maison du bonheur, cette maison toujours vivante, toujours remplie de gens, de chiens, de chats, d’amis. J’avais l’impression que le monde entier se réunissait autour d’elle. Les réunions de famille ou les choses importantes d’adultes se déroulaient chez elle. Et j’adorais ça. Je me sentais une petite fille privilégiée. Avec elle, les usages des gens normaux ça n’était pas pour nous ! Diner à dix neuf heure trente et se coucher à vingt heure ? Non merci ! Elle me faisait manger avec elle à l’heure des adultes et lorsque le repas était fini nous avions toujours le même rituel en été : on marchait à pas pressés chez le petit épicier juste en bas de chez elle « deux magnum aux amandes ! » disait-il lorsqu’il nous voyait arriver à la même heure. Pas le temps de bavarder, il fallait qu’on soit rentré avant que l’émission de Mireille Dumas ne commence ! J’adorais regarder ses émissions, sûrement aussi parce que je m’appelle Dumas, comme elle. Un autre jour de la semaine c’était Dynastie et puis encore un autre très tard c’était 7sur7 présenté par Anne Sinclair, (en hiver d’ailleurs elle portait des pulls magnifiques « C’est la qualité Anny Blatt ça ! » clamait ma grand-mère en cherchant minutieusement dans son stock de laine ce qu’elle avait à sa disposition pour se le tricoter le même).
Devant l’un de ces programmes, peu importe lequel pourvu qu’il commençait tard et qu’il durait longtemps, elle ouvrait le plastique de ma glace d’un bruit sec et entourait le bâtonnet de papier absorbant, elle faisait toujours le même geste parce qu’elle savait que je mettais du temps à la déguster et qu’elle se mettrait à fondre sur mes doigts. Elle ne mangeait pas la sienne tout de suite, elle prenait un petit plateau, l’ouvrait et la laissait « reposer » comme elle disait, « je n’aime pas quand elle est trop froide ». Alors elle prenait ses aiguilles, ses pelotes et s’asseyait à côté de moi pour tricoter.
Il arrivait que nous ne dormions presque pas de la nuit. Elle avait la maladie des jambes sans repos alors elle ne pouvait pas rester longtemps allongée avant que ses jambes ne la démangent et que mon grand-père ne doive la masser très fort. Je me souviens de ses crises douloureuses, elle appelait « Pierrot ! Pierrot » pour que mon grand-père tente de la soulager avec un peu de crème et ses mains exerçant des fortes pressions sur ses jambes. J’assistais à ce spectacle sans savoir quoi faire, je restais au bord du lit en attendant que ça passe. Quand c’était terminé je lui apportais un coca et nous parlions jusqu’à tomber de sommeil. Le lendemain, nous nous préparions pour la plage. Nous y allons tous les jours ! Elle ouvrait son son panier et y pliait les serviettes secouées et étendues de la veille, elle y mettait un peigne et un miroir, un porte-monnaie avec les pièces pour le sorbet à la noix de coco et les chouchous de l’après-midi, mes jeux de sable et la graisse à traire que je prenais plaisir à lui étaler sur tout le corps Puis elle s’asseyait, mettait ses lunettes de soleil et me regardait m’amuser dans l’eau. On se se faisait des coucous et je lui montrais les coquillages que je trouvais. Inlassablement nous passions les mêmes soirées, les mêmes journées.
C’était la vie l’été avec ma grand-mère