À cause de la couleur sale qui pourrait en résulter, il ne faudrait jamais utiliser les idées noires pures dans le mélange des genres ; et leur préférer des terres d’ombres brûlées, des outremers à grandes profondeurs, de celles qui permettront sans décompression la construction de gris colorés ; mais en cherchant à élargir et tempérer du plus clair au plus foncé, mélancolie versus désespoir ; la fête mondiale a une odeur de fossiles mal digérés, on se surprend à bouger le bras, le coude, la main droite pour se pincer le nez entre le pouce et l’index, pour respirer la bouche s’ouvre par réflexe, au risque d’avaler une mouche ou une couleuvre.
À cause de la couleuvre avalée on pourrait étouffer, alors on cherche des gris colorés à partir de pigments naturels ou synthétiques, tout est chimie ; mais ouvrir le Rien, disait Monsieur Henri, met l’art à nu, et la lumière devient sonore ; cela nécessite le retour des bouchons de cire, on se surprend à bouger le bras, le coude, la main gauche pour insérer ces boules dans les conduits auditifs ; la quiétude devient palpable.
À cause de la couleur savamment dosée, le carnet à spirale préperforé accueille des pochades de la meilleure eau, c’est je qui le dis ; mais si l’on détache la feuille – soit avec délicatesse de l’extérieur vers soi, soit avec brusquerie de soi vers l’extérieur – il reste une bande étroite de papier, comme un reçu accroché par ses trous à la spirale.
À cause de la couleur, des couleurs, certaines rémanentes dans une réserve d’arrière-plan tandis que d’autres colorent le soleil des rêves, prêtes à exploser au réveil ; mais la toxicité de certaines peut faire peur, alors on ferme les yeux en les plissant, dans une grimace de constriction.
« SE TENIR EN PRESENCE d’une œuvre d’art ce n’est pas se tenir à l’écoute de l’artiste pour en recueillir les confidences ou le message car ce qu’est l’œuvre, l’artiste n’en sait rien avant d’être surpris par elle. Maître d’ouvrage, il n’est pas le maître d’œuvre. Une œuvre, dit Malevitch, doit sortir de rien. Elle ne procède d’aucun étant, même d’un néant étant, mais du rien qu’elle ouvre. Sa manifestation a lieu dans l’ouvert pour autant qu’elle s’ouvre en elle sous la forme du rien. De quelques paysages chinois de l’époque… »
je lis, je ne connaissais pas (j’envoie ce texte à mon fils en école d’art, à qui on demande d’expliquer ce qu’il fait), j’hésite à me le procurer. je n’ai toujours pas le soupçon de ce qui permettrait de sonoriser la lumière. je trouve un article sur le rythme que je projette de lire. je lis que cet henri s’est intéressé à binswanger et à la psychiatrie phénoménologique. etc. peut-être que je perçois alors quelque chose du palpable de la quiétude atteinte.
et merci pour ce texte !
merci pour votre commentaire, à Leuven j’ai eu J.Schotte et A. De Waelhens comme professeurs, tous deux férus de Binswanger et Maldiney, beaucoup de choses me sont passées au dessus de la tête mais il en reste peut-être une trace quelque part…
Quel beau texte.
« la fête mondiale a une odeur de fossiles mal digérés, on se surprend à bouger le bras, le coude, la main droite pour se pincer le nez entre le pouce et l’index, pour respirer la bouche s’ouvre par réflexe, au risque d’avaler une mouche ou une couleuvre. »
surtout qu’à cause de la couleuvre avalée on risque de s’étouffer.
J’aime aussi ce passage sur le carnet : « il reste une bande étroite de papier, comme un reçu accroché par ses trous à la spirale ».
Merci !
Merci pour votre lecture et votre commentaire !
les terres de sienne brûlées – oui (on pourrait faire l’exercice tous les jours) (fort beau) (j’aurais ôté les points en fin de paragraphe – mais « les outremers de grande profondeur » oui encore)
Merci pour votre lecture pointilleuse ( c’est pour rire hein !) , vous auriez p’têt ben raison…
Pas besoin du conte chinois pour rentrer dans le tableau, les noms des couleurs suffisent
Merci !
C’est fort ! Merci
Merci !
texte original ouvrant à bien des réflexions
Merci…