À cause de la couleur grisâtre que dégageaient l’architecture et les occupants de l’immeuble que nous habitions, — simple et de bon aloi, le seul de la rue – disait ma mère, et du contentement de mon père de faire partie des gens bien du quartier, avec au rez-de-chaussée une vieille dame veuve de militaire, au premier notre famille, au second un instituteur, au dernier la propriétaire vieille fille retraitée d’une banque, je ressens encore l’ambiance terne de ce lieu, j’avais neuf ans, mais il suffisait d’ouvrir notre entrée pour découvrir un appartement chaleureux ou de faire quelques pas dehors de s’approcher de la porte voisine entrebâillée laissant s’écouler les chansons à la mode retransmises par une radio branchée en quasi-permanence et le parfum citronné d’un géranium rosat dès le mois d’avril.
À cause de la couleur noire de la troisième maison, vieux murs délabrés, cartographiés d’auréoles, couloir au sol en ciment toujours mouillé débouchant sur une pièce sombre exigeant un éclairage continu, un mobilier restreint pour une famille de trois, un couple d’origine marocaine se disputant continûment et une fillette de mon âge, je mesure aujourd’hui l’inconfort ressenti, déchiffre mieux les toux fréquentes et la tristesse des visages, mais je vois aussi le petit banc bleu sur lequel nous écoutions chaque semaine les histoires racontées par la grand-mère qui venait tous les jeudis. Serrées l’une contre l’autre nous naviguions en des terres inconnues, rions, pleurions. Puis nous sortions dans la rue pour jouer à la marelle tracée à la craie sur le bitume ou à la corde à sauter.
À cause de la couleur bariolée de la maison des gitans au bout de la rue, nimbée de linges multicolores mis à sécher, de sons de guitare et de danses endiablées je me remémore les discours de notre propriétaire critiquant l’indécence d’une telle liberté, mais en silence je me réjouissais d’avoir tant de gaieté à portée de la main et des oreilles, je m’approchais en sortant de l’école et je discutais avec la gitane qui vendait de l’ail sur le marché. J’observais la jeune femme qui dansait et en cachette dès mon retour à la maison j’essayais gauchement de l’imiter en tapant du pied et des mains.
À cause de la couleur blanche de l’épicerie au coin de la rue, des lettres noires gravées au-dessus de l’entrée « Chez Rosy », et de va-et-vient animés des habitants du quartier, je rêvais de devenir marchande pour au mois de mai emporter tous les bouquets de cerises dont j’agrémenterais à loisir le tour de mes oreilles, mais pour l’heure les cerises étaient fort chères et il fallait se contenter d’une seule parure vite périssable bien que déposée avec précaution sur des oreilles impatientes.
(je suis allé voir- ces petites venelles) c’est très joli, ce banc bleu où on rit et pleure… et la musique, aussi – merci hein
elles ont bien changées, polissées
le bleu me hante aussi
merci de ton passage Piero
ce qui me frappe d’emblée, c’est l’usage du « nous », indicateur d’une famille unie et heureuse, donc d’une enfance heureuse
petits bonheurs que ces quatre histoires déclinées à cause d’une couleur (par exemple la 3 pour son côté bariolé et dansant, avec pour le coup la couleur entraînant vers le geste de danser), on visualise parfaitement les différentes scènes
(pas franchement question de gestes, plutôt de maisons, mais après tout on s’en moque…)
quelques gestes cependant mais donnés en globalité mais c’est sûr, la couleur l’a emporté et les maisons
merci de ta lecture F.
Les couleurs portent les lieux de l’enfance et avec vos mots nous sommes amenés à être avec bonheur dans ces lieux, à replonger dans notre propre enfance. Merci
Tout à fait d’accord, « les couleurs portent les lieux de l’enfance ».
Nous lire les uns les autres tisse de riches résonances
Merci Claudine de votre écho
et ces couleurs qui ouvrent des univers différents mais que l’enfance et le regard que les adultes posent sur elle réunissent
Merci Brigitte de votre écho
C’est très beau tous ces portraits de lieux, de gens, de couleurs, merci.