À cause de la couleur de la neige que je voyais au loin découper l’horizon de ces trous dans l’espace derrière lesquels je retrouvais le mur du plafond de ma chambre d’enfant aussi immaculé que l’était mon absence de ce monde que je ne comprenais pas mais la masse sombre du tapis des forêts mais la musique s’échappant du magnétophone à piles et à cassettes dans l’habitacle de la Simca mais la voix grave de mon père conduisant pour nous emmener avec mon frère toucher du doigt le froid des hauteurs comme l’avant-goût d’un autre monde.
À cause de la couleur de la mer agitée dont les vagues s’écrasaient sur les rochers laissant l’eau assommée dans son bain d’écume immobile et morte dans lequel je cherchais des yeux un fragment de vie un survivant un espoir d’en réchapper mais les rochers luisants recouverts des cheveux d’algues mais l’odeur iodée du large portant jusqu’à mes narines la sensation des aventures que je vivais sitôt mes yeux fermés mais la voix impérative de ma grand-mère nous interdisant avec mon frère de trop nous approcher du bord.
À cause de la couleur des falaises en calcaire que j’apercevais de la fenêtre de ma chambre reflétant le soleil paresseux qui ne daignait venir baigner de ses rayons mon visage d’enfant cherchant derrière la vitre son chemin vers l’ailleurs dans cet horizon montagneux comme la palpitation unique du tracé d’un électrocardiogramme mais la vie qui s’emballe mais la chaleur des bagarres d’oreillers avec mon frère sur les lits défaits mais la voix mélodieuse de ma mère chantant dans la cuisine et préparant la pâte des coings ramassés dans le jardin.
À cause de la couleur du désert et du soleil que je croyais unis comme les deux frères que nous étions à jouer des reflets dans le sable nous projetant des rayons de lumière comme des lances de guerriers imaginaires ne défendant rien d’autre que le plaisir d’être ensemble mais la vie qui éteint les éclairs mais les yeux qui grandissent en quittant l’univers dont seule l’enfance a la clé mais nos voix qui perdent leur hauteur pour racler la terre de nos vies adultes et quitter l’unisson qui nous rendait uniques tant que le temps somnolant nous croyait immuables.
À cause de la douleur mais la vie.
Photo de Gabriel Alenius sur Unsplash
ils sont beaux ces « mais », ils n’enlèvent pas, ils ajoutent
Extraordinaire…
j’ai mis mon commentaire au mauvais endroit….
« À cause de la douleur mais la vie. » Je comprends mieux le mouvement. Merci Jean-Luc
Un très beau texte, merci.
Neige, mer, falaises, désert… quatre décors, quatre scènes intenses déclinées « à cause de la couleur »
cet élan vers les personnages d’enfance qu’on suit de près, qui nous prend…
Le texte donne de l’élan vers l’au-dehors, fait sortir les phrases des constructions toutes faites, fait surgir des couleurs de langue.
… mais pousse et creuse les images ( … mais la vie ) . Met la langue en mouvement, déborde les falaises : La chaleur des batailles d’oreiller et la voix de la mère … merci