Il fume mais n’a pas de briquet. Sa cigarette au bout de ses longs doigts effilés, déliés de pianiste. C’est la pause, et il est sorti dans la cour carrée, fermée sur elle-même mais ouverte par chaque porte, chaque fenêtre du centre de danse. Ici c’est rumba, là, flamenco, là-bas contemporain, et à l’autre bout est le répertoire classique, musiques s’entrechoquant dans la résonance croisée de l’espace bétonné, jusque dans les feuilles de la vigne vierge accrochée, longeant les parois, habitant le mur de leurs tiges, cramponnée.
La pause c’est le moment de la cigarette et je ne fume pas. Lui fume et n’a pas de briquet mais j’en ai toujours un sur moi. Alors j’allume et nos doigts se frôlent. Il pare la flamme pour qu’elle ne s’éteigne pas. Elle tremble un peu, vacille mais finit par flamber au bout de la cigarette, rougie. Ses doigts touchent les miens et il me remercie, enfoncé dans mes yeux. Juste les mains qui se touchent. Et les yeux.
Ce que ça dure, une éternité ou une seconde, peut-être deux, peut-être dix, qui peut le dire ? Rien parce que rien de significatif. Parce que juste une cigarette qui s’allume et se fume quand il retourne se caler le long de la porte cochère.
La fumée s’étire en volutes le long de la moulure du bois ancien, le long de la façade du bâtiment haussmannien, et s’évapore loin de la main du pianiste dans l’air humide, dans la brume matinale. Juste avant qu’il ne consume entièrement, qu’il n’avale sa dernière bouffée. Alors il écrase le mégot sur le mur où les cendres laissent une trace blanchâtre, garde entre ses doigts le reliquat de son addiction et remonte tout là-haut, deuxième étage, où la prochaine classe de danseuses l’attend.
tout le détail des gestes, des sensations et bien sur la délicate sensualité furtive
merci Brigitte !
échange de flamme ou de fumée? Les gestes sont tellement là, les sensations… Le temps de la cigarette ( nostalgie) ce qui se diffuse et se consume avec elle.
Tout est toujours une question d’interprétation, peut-être est-ce là dans l’instant, une flamme ou une fumée…
dès qu’elle approche, on ressent quelque chose, quelque chose qui se passe dans les yeux, dans la chair
et puis la distance se réinstalle, mais on garde le désir
Exactement, c’est un mouvement, celui d’un rapprochement puis d’un éloignement.