Non mais je n’y connais rien, je ne sais pas ce que ça peut bien vouloir dire – très souvent, dans ces moments-là, c’est le silence qui l’emporte (ça ne prête à aucune confusion) (je me tais) sans répartie, sans réplique, sans savoir ce que j’aurais bien pu vouloir dire, en esprit d’escalier, c’est là, ça reste ça ne bouge pas, c’est là – les choses se passent – je rêve probablement, je ne dis rien – je m’en veux ensuite, j’aurais dû – mais ce jour-là, à ce moment-là il a fallu que je dise « mais non,on ne peut pas, il y a la cure » – je n’avais pas dix ans, ou alors tout juste (je suis de juin, c’est en juillet, trois semaines, massif et central – elle m’accompagne, elle est avec moi, ou je suis avec elle mais c’est pourtant ma cure, on a quelque chose de l’amitié en commun – ce n’est pas spécialement parce qu’elle est une excellente pâtissière, une excellente couturière, ces choses-là qui font (qui faisaient) que les femmes sont bonnes à marier – elle ne l’a jamais été (mariée), c’est la sœur de ma mère – elle me disait quand j’avais vingt ans, « oui j’en ai connu des hommes, tu sais, oui bien sûr mais fais attention méfie-toi des femmes », elle regardait mes mains, elle prenait son jeu de cartes, elle cousait, elle m’emmenait au bar « viens on va prendre un café », on sortait elle fermait sa chambre à clé mais ne laissait pas au comptoir – le concierge la saluait, elle l’ignorait – ostensiblement « c’est un sale type » – elle marchait décidée) – ce jour-là nous revenons de la cure, quatre heures, des voisins de l’ancien temps, c’est le long d’une rivière, des voisins de là-bas nous les croisons « venez prendre le thé » j’aurais mieux fait de me taire – c’est ce que j’ai toujours cru mais plus tard elle me dira « c’était pour que tu continues à refuser » – comment aurais-je pu le savoir ? d’ailleurs elle ne disait pas « continue » mais « contunue » je me souviens de sa main, ses doigts qui me pincent le bras – ce geste-là – comme si je lui tenais le bras (et sans doute le lui tenais-je) je crie un peu, c’est que ça fait mal, elle refuse, nous allons à la cure dit-elle, « une autre fois, oui, vous êtes là pour longtemps ? Nous partons à la fin de la semaine quel dommage » c’est juillet et il fait chaud, régulièrement, après la cure, un gâteau – une sieste – du repos – j’ai détesté ça, il paraît que ça a un effet sur la respiration – détesté – nous étions en demi-pension (quelque chose que je n’ai jamais compris, le repas du soir au restaurant de l’hôtel) (je ne comprends jamais rien, je suis en dehors et j’observe comme s’il ne s’agissait pas de moi) – les mœurs des hôtels qu’elle connaissait par cœur, les paquets du traiteur qu’on cache, les chambres qu’on ferme à clé quand on y est, les bijoux qu’on met dans les poches des manteaux – je l’aimais beaucoup ce n’est pas la question seulement son geste, faire mal pour acquiescer et demander de poursuivre, j’en ai encore quelque chose d’une blessure – après pour savoir pourquoi elle ne voulait pas que nous allions chez ces personnes-là, croisées cet après-midi là, par un hasard antipathique je suppose, mais vraiment je n’en ai aucune idée et peut-être encore maintenant, aujourd’hui, ferais-je mieux de me taire
comme le sentiment de m’être fourvoyé, planté de rubrique – ou est-ce encore d’enfance précédente – je laisse
Très émouvant. Le geste est là : le petit qui blesse. Et pourtant il y a ce partage cette tendresse. Le geste est là et le fil se déroule .Merci ( c’est la tante qui coud et qui pique? )
c’est elle oui – merci à toi Nathalie (et bon dimanche…)
Fourvoyé peut-être mais qu’importe, le texte, les images sont présentes. Et un côté coquin aussi ai-je décelé ou que j’ai voulu voir, j’aime. Elle m’a plu cette relation, merci Piero, beau jour à toi !
tu as voulu le voir, je suppose – mais tant mieux… Merci à toi Carence
Oui coquin n’est pas le bon mot mais ton texte est beau.
c’est sans doute l’histoire des doigts qui pince la chair du bras de l’enfant, et bien sûr que ça fait mal, et l’enfant couine parce que c’est juste là où la chair est sensible et douce
réminiscences pour toi d’un monde que je ne connais pas (les bijoux dans les poches, les portes fermées et tout ça…)
salut piero
c’est cette histoire-là (mais les bijoux dans les poches, je l’ai inventé-ou plus probablement vu au cinéma quelque part) Merci et salut à toi, Françoise !
comme je l’aurai aimée je pense…
et fraternité avc cette phrase « je ne comprends jamais rien, je suis en dehors et j’observe comme s’il ne s’agissait pas de moi »… défaut qu’il est précieux de conserver
ah oui, c’est assez votre genre (t elle était de votre gabarit…) -je garde pour moi l’oxymore « défaut précieux »- merci à vous Brigitte
ce texte m’a entraînée par le bras, avec une foule de détails, d’impressions, de petites phrases qui créent toute une atmosphère, une époque, des personnages, que le pincement réveille