À cause du noir qui broie le cœur de Song, l’air semble s’être raréfié, les pas se ralentissent, tout autour se ralentit, elle montant l’escalier en colimaçon sans bruit, marche après marche, espérant qu’il est en train de lire, allant jusqu’à la chambre au prétexte d’une blouse à prendre dans l’armoire. Elle aimerait savoir ce qu’il fait mais sans le déranger. Elle s’arrête devant la porte. Song est assis sur leur lit, immobile, comme en apnée. Il tient un livre dans sa main retombée sur une cuisse, l’index coincé entre deux pages. Il regarde dans le vague, ses yeux semblent vides. Mais il y a encore un peu de lumière, même dans l’absence de son regard. Quelque part au loin quelque chose semble encore briller pour Song. À quoi rêve-t-il ? Elle n’ose pas troubler son silence. Doucement elle recule et redescend au rez-de-chaussée. Elle longe la véranda, regarde le jardin de pierres avant d’entrer dans la cuisine. Quand il coupait, éminçait, râpait des légumes ou des fruits (il n’aimait pas les éplucher, les vitamines répétait-il se trouvent dans la peau, il suffit de brosser, voire de laver un peu), Mirna était fascinée par l’adresse de Song, par la vitesse à laquelle les dés de courgettes de carottes de céleri les lamelles de champignons venaient s’amonceler dans des coupelles ou des récipients de verre s’il les fallait garder au frais un ou deux jours jusqu’à ce que Mirna les cuisine. La cuisson était son affaire à elle. Elle aimait saisir – un frisson puis un grésillement dans la poêle – quand l’huile est à la bonne température, remuer les légumes sans arrêt, les épicer, les saler légèrement, ajouter quelques pointes d’ail, quelques feuilles ciselées de persil ou de coriandre. Désormais elle coupe et cuisine seule. Depuis combien de temps, ne vient-il plus à la cuisine faire son marmiton comme il disait ? Elle entend un pas dans l’escalier, un trébuchement. Elle essuie vite ses mains au torchon pendu sur un crochet. Les pas reprennent, sur les lattes de bois de la véranda maintenant. Song apparaît dans l’embrasure de la porte. Pour une fois, il se tient très droit. Il la regarde d’un air un peu étonné. L’idée la traverse qu’il ne la reconnaît peut-être pas. Elle sourit, timidement elle lui sourit. Alors il joint ses deux mains et s’incline devant elle.