C’est un dimanche comme un autre ou presque. Lucie a huit ans. Elle est attablée dans la salle à manger avec ses frères et ses parents. C’est le repas dominical, celui où tout le monde se retrouve sans la précipitation des jours travaillés. Éclats de voix, énervements, ça crie, ça s’insulte et on se lance des : « on divorce ! ». Avec l’expression, vient l’heure du partage et du « on fait quoi des enfants ? ». « Les enfants, vous voulez quoi ? Aller avec votre mère ou avec votre père ? ». Lucie hésite, elle ne sait pas quoi répondre. « Je veux vivre avec mon père ou avec ma mère ? », se dit-elle dans sa tête. Elle se concentre beaucoup mais dit, sans la moindre once de réflexion : « avec maman ». Sourire victorieux de la mère, gifle du père qui s’abat sur la joue de sa fille. La lèvre de Lucie saigne. La chevalière du père a blessé la gamine qui aurait préféré ne rien dire et qui a répondu pour faire plaisir à sa maman. Mais pas à son père. Le frère aîné devait aller avec son père, le petit dernier avec sa mère. Seule la fille, qui était au milieu, était devenue un enjeu, ou un obstacle. Autant élever un seul enfant était possible pour un parent célibataire, autant élever deux enfants pouvait constituer une difficulté. Lucie était sur la balance et pesait lourd tout à coup. Un enjeu affectif et un enjeu financier. Elle ressent la baffe dans toute la chair de son visage. Elle n’en peut plus de ces cris, de cette hystérie qui s’abat sur ce couple qui ne s’entend plus, qui ne s’écoute pas et qui crie sans se faire entendre. Lucie en a assez, elle est anesthésiée dans son cerveau. Des neurones ont été détruits dans la baffe de sa vie. Elle aurait préféré prendre la main de son père plutôt que la recevoir sur son visage. Elle aurait préféré dire « avec papa » mais elle a voulu faire plaisir à sa mère. Comme d’habitude.