Ça n’a rien de compliqué
Vous devez juste vous munir avant d’aller sur le site de la banque
Vous devez en avoir une ça n’a rien de compliqué mais c’est obligatoire
Vous devez y avoir ouvert un compte, c’est extrêmement simple : il suffit d’y déposer de l’argent
vous devez avoir de l’argent vous devez avoir des papiers vous devez avoir une identité et des papiers qui la prouvent ça n’a rien d’exceptionnel
vous devez continuer sans accepter ou paramétrer puis accéder à vos comptes
pour cela, ça n’a rien de compliqué, vous devez renseigner votre numéro de client
c’est extrêmement simple il figure en bas de votre dernier relevé de compte | c’est un numéro à huit chiffres ou neuf ou dix oui
vous devez l’avoir reçu par la poste
pour cela vous devez avoir une adresse postale (évidemment)
vous devez cliquer sur « accéder à vos comptes »
ensuite vous devrez indiquer votre code secret celui-là personne d’autre que vous ne le connaît, vous devrez vous en souvenir ou alors vous auriez dû l’inscrire sur un calepin un agenda en lieu sûr
enfantin simplissime facile et efficace agile flexible vous devez le reproduire, il se compose de six chiffres (six clics sur chacun des chiffres, rien de compliqué)
c’est ici que vous devrez cliquer sur le bouton d’accès aux comptes
immédiatement alors sur votre téléphone vous devez ouvrir vos messages – une simple caresse d’un dessin en forme de bulle de bande dessinée – c’est mignon, c’est joli, c’est
vous devez ouvrir le message – une autre caresse sur le texte du message en gras – n’est-ce pas que c’est facile ? Vous devez savoir lire les chiffres (mais ça, c’est depuis longtemps quelque chose d’acquis) – que lisez-vous ? (ça me rappelle une chanson de Brigitte Fontaine et Areski* qui faisait « que disiez-vous ? ») (parfois je me demande ce qui ne me rappelle pas une chanson)
Ah trop tard ! Votre authentification forte a expiré (le code n’est valable que 5 minutes et ainsi, je peux vous le divulguer : il s’agit du 115532 – vous ne devez pas vous en souvenir, vous devez l’oublier), un nouveau s’affichera dés que vous en serez revenu à la page où vous devrez
composer votre numéro de comptes pour y accéder vous devrez composer sur le pavé composé de deux lignes de 5 numéros votre code secret
mais avant ça les huit de votre numéro de compte client lequel figure en fin de
vous devez vous en souvenir (ça n’est pas compliqué, il est inscrit dans votre agenda, ou ce calepin ou ailleurs encore)
vous y êtes ? Nous y sommes
Vous devez voir la page de vos comptes qui vous indique les montants des comptes en rouge (c’est vilain) ou en noir foncé (n’est-ce pas que c’est joli ?)
les choses sérieuses vont commencer, en haut à droite – ou ailleurs selon l’établissement auquel vous appartenez (car vous lui appartenez, comprenez-vous ?) – vous devez voir la case dite « virement » (deuxième en partant du haut de la colonne de gauche, c’est d’une clarté biblique) la voilà qui s’illumine en vert dès que dessus passe la petite flèche laquelle suit le mouvement de votre main droite qui tient ce qu’on nomme une souris (probablement en référence à Mickey (attends j’ai pas la rèf) (la souris de l’oncle walt l’ami public numéro un)) : c’est à ce moment-là que vous devez cliquer) (appuyer de l’index droit (ou gauche c’est selon) sur le bouton de droite (là pour tout le monde, faut pas exagérer)
Vous devez cliquer
ça n’a rien de compliqué
Vous avez cliqué ? Non, vous n’allez pas voir si les messages qui sont affichés ont un intérêt, ils sont dans votre boite vous irez ensuite, vous devez rester concentré
concentré
Vous avez cliqué ? Vous devez à nouveau cliquer sur « virement »
avouez que ça n’a rien de compliqué
Vous devez avoir accepté les conditions générales de vente (vous devez cocher la case « oui j’ai lu et j’accepte les conditions générales de vente » alias aka CGV – c’est extrêmement simple, si vous cliquez sur les mots qui sont soulignés, vous aboutissez à un texte de 320 541 signes fréquemment réactualisé en police quatre qui vous indique les conditions dans lesquelles vous pourrez effectuer le virement requis | si vous n’acceptez pas, sortez)
Vous devriez les lire ? Non oui enfin c’est compliqué
Vous devez cliquer pour cocher
Vous devez cocher
Cochez (voilà)
Vous devez être sur la page des virements à présent – oui, voilà – n’est-ce pas que c’est simple ?
du pur cristal
Vous devez choisir entre un virement unitaire ou permanent ça se pratique en un clic
Vous devez cliquer – vous devez alors accéder à la page des bénéficiaires – vous devez donc avoir fait figurer sur cette page le nom le prénom le statut le code le nom de l’organisme récipiendaire et l’adresse d’icelui ainsi que celui de son organisme bancaire son numéro IBAN (International Bank Account Number)
Vous devez l’avoir quelque part – il vous a été remis lorsqu’on vous a donné un RIB de l’organisme l’établissement la succursale l’agence
Vous devez l’avoir, il est là, il s’agit d’un relevé d’identité (qu’est-ce que je disais?) bancaire
vous devez l’avoir vous l’avez c’est assez simple, vous avez à remplir les quelque seize cases qui le constituent – vous devez les reporter – les connaître – les inscrire
des lettres et des chiffres (oui, comme le jeu c’est amusant hein)
C’est fait ?
Très bien vous devez renseigner le type de virement – unitaire ou permanent ? Vous devriez le savoir tout de même ce n’est pas à moi de…
Vous devez renseigner le montant (en euros) ainsi que la date de virement
Vous devez savoir que le virement ne sera effectué que dans les vingt-quatre ou quarante-huit heures qui suivent votre demande tout dépend de l’adresse et de l’établissement de votre bénéficiaire – ainsi que de la devise choisie
Vous devez connaître la devise, évidemment (le cours est indiqué aux CGV)
Vous devez renseigner la date
Vous devez indiquer le motif de votre virement lequel sera visible par le bénéficiaire (ce motif ne doit pas excéder cent quarante caractères)
Vous devriez savoir que ce virement vous sera facturé, avant même d’avoir été opéré, c’est indiqué dans les CGV que vous DEVEZ avoir lues et acceptées
Vous devez cliquer sur « continuer »
Vous devez OBLIGATOIREMENT indiquer le montant de votre virement
Vous devez cliquer sur « continuer »
Vous devez tout aussi OBLIGATOIREMENT indiquer le motif de ce virement
Vous devez cliquer sur « continuer »
OBLIGATOIREMENT OBLIGATOIREMENT OBLIGATOIREMENT OBLIGATOIREMENT
(hier, dans le bar, un type parlait à un autre, je n’écoutais pas j’étais avec mon café à rêver, les deux types parlaient d’un troisième lequel était tout à fait loyal disait l’un tandis que l’autre répondait « ouais mais faut pas la lui faire à l’envers » – j’ai fini mon café et je suis sorti marcher)
(*) : en vrai, non, c’est Higelin Jacques qui chante)
Merci pour ce texte infernal, entêtant et qui donne la nausée (preuve qu’il nous fait bien vivre ce qu’il décrit). Je décroche un petit peu lors des traits d’humour trop frontaux car je trouve que l’humour irrigue l’entièreté du texte de manière subtile et machiavélique et les traits d’humour trop appuyés affaiblissent un peu cette glauques du reste du texte. Mis à part cette réserve, respect!
oui, mais trop c’est trop – et le texte a été écrit en faisant les gestes indiqués,ni plus ni moins – mais comme il faut écrire en même temps : le « ah trop tard ! »vient de là… difficile d’y échapper, sinon (peut-être)par la distance de l’humour ou de l’ironie. Merci à vous Natacha en tout cas.
cocher, composer, cliquer une sacrée mécanique tout de même ! Le texte le rend bien.
Les allers à la ligne ( c’est au bout qu’on respire ?) soulignent les étapes. Apnée
irrespirable oui…merci à toi Françoise
merci de nous rappeler « Que disiez-vous ? » J’adore cette chanson.
elle est bien, cette chanson – et la prestation de Brigitte Fontaine : magnifique (Higelin manque de pouffer de rire…) – merci Danièle
entre fou-rire nerveux et regret que ma banque (enfin mes banques parrce que pour simplifier la première s’est et m’a vendu à la seconde avec cadre approchant mais différent et nouveaux numéros et IBAN) ne pense pas à égayer la route par de petits commentaires genre c’est joli (par contre s’énerver d’un vous devriez le savoir tout de même c’est pas bien)
nous sommes obligés d’en passer par elles (les banques), c’est un peu là le scandale… ce monde-là : le notre. Merci à vous Brigitte
C’est tellement là c’est tellement ça c’est tellement : « Ah trop tard ! Votre authentification forte a expiré (le code n’est valable que 5 minutes et ainsi, je peux vous le divulguer : il s’agit du 115532 – vous ne devez pas vous en souvenir,) » … c’est tellement que j’ai envie de tout éteindre . Merci Piero
merci à toi Nathalie (surtout n’en viens pas à de telles extrémités – ne vas pas tout fermer hein…)
J’adore Piero ! J’ai beaucoup ri et je ris encore en pensant que mes enfants diraient probablement » ben oui, ce n’est pas compliqué » sous entendu que nous sommes d’une génération complètement dépassée par le modernisme si simple – Merci pour ton texte de si bon matin.
rien de compliqué là-dedans, sauf qu’on a tout à faire… content que le texte t’ait plu Clarence – bonne suite
Un univers qui rend fou entre Orange mécanique et Brazil.
Merci pour ce texte.
une vraie terreur… Merci à vous Khedidja
Un enchaînement fou, un tourbillon d’actions infernales
Un texte à envoyer à toutes les banques
Une grande moquerie
ne pas souhaiter s’adapter à ces « décérébrations »
« il faut s’adapter » disait une philosophe (Barbara Stiegler); c’est un impératif… mais résistons hein, Huguette.Merci à toi
Ubuesque ! Et imaginer la même qui aurait comme slogan publicitaire « nous allons vous faciliter la banque »…
Merdre aux banques !!! (pas facile à faire suivre d’effet…) Merci à toi, Perle
J’adore la mise en absurde. Et merci de m’avoir replongé dans cette chanson de Brigitte Fontaine et de Jacques Higelin, elle était sortie de ma mémoire. Un saut d’un demi-siècle. J’avais rencontré Higelin quelques années après, du temps d’Alertez les bébés, j’étais encore gamin, le frère de mon copain était son guitariste. Il ne m’avait pas regardé, il était lunaire (un peu shooté aussi sans doute). Des souvenirs qui collent si bien avec ton texte.
Merci pour ce souvenir – et merci à toi JLuc
Entre agacement partagé et rire. Je me sens moins seule, aussi 😉
il est vrai aussi que ces injonctions à l’individualisme sont les ferments de solitude obligatoire – ce monde cherche à proscrire l’entraide et la solidarité… Mais en fait non. Merci à toi Marlen
Cela n’a rien de compliqué… c’est l’écrire (le cristal) qui l’est !
(C’est les transcrire, la fluidité — ce papillonnement — du clic, la succession ordonnée des pages et fenêtres pop-up, qui complexifie (densifie, épaissit) ; et a dû — à moins de l’avoir parfaitement intégrée, d’une mémoire où se combinent le bout des doigts et les rapides coups d’œil — être fastidieux, et/ou « satisfaisant » ?)
(les deux mon général) (le plan du « ah trop tard! » est arrivé : j’écrivais en même temps que j’éprouvais le wtf dispositif) (après on relit, tu sais comment c’est). Merci à toi
« ça n’a rien de compliqué »
un leitmotiv terrible !
Merci pour ce texte
ne pas y faire attention – laisser infuser (ne jamais désespérer) … Merci à toi Laure
Merci pour ce texte. Il m’a rappelé les démarches que ma mère était supposée faire seule à 86 ans sur internet après le décès de mon père. Inhumain.
merci à vous pour votre lecture – ce monde-là se fiche éperdument du passé… pas nous. Merci encore