Je plie les surfaces en deux. En trois. Ou en quatre. Le linge. Plier : aplatir. Lisser. Eviter les faux plis, les faux-pas. Les faut-pas. Empiler, pièce par pièce, famille par famille. Faille par faille j’ai écrit en vitesse, je laisse. C’est plié. Torchons avec torchons serviettes avec serviettes. Moins de serviettes : en papier maintenant. Sauf pour les grands jours. Mais il y a beaucoup de petits jours. On plie quand même ce qui est en attente. Pour que ça prenne moins de place, en attendant. Comme ça vient. On se replie. Plie et range. On se plie à ce qui rassure. Chaque chose à sa place disait maman. Quand l’armoire d’entrée en adolescence était fermée, on pouvait penser qu’à l’intérieur tout allait bien. Elle regardait de temps en temps : comment peux-tu accumuler pêle-mêle tout ça, tes vêtements sont des chiffons, tu ne peux pas les porter, je vais les repasser. Non, tu ne touches à rien, c’est moi qui décide quoi et quand. Je me débrouille avec mon désordre. Je m’y retrouve. D’autres choses sont plus graves. L’ordre, par exemple. Pour éviter la confrontation, j’ai fait ce qu’il faut. Au moins, donner l’apparence du pliage. Et sauver les apparences. Comme maman au fond quand j’étais petite: dans le débarras d’en bas, derrière la porte close, elle cachait une montagne de linge à repasser, tout froissé, celui de la famille nombreuse qu’elle avait voulu avoir. Bien après, je me suis dit : mais pourquoi n’a-t-elle pas dégrossi la tâche du repassage à venir en pré-pliant ? Même qu’un jour, en découvrant le tas, je lui ai proposé de plier les pièces, grossièrement, pour alléger ce qui l’attendait — tonneau des danaïdes ou pierre de Sisyphe, au choix. Elle a répondu : commence par ta chambre. J’avais tendu la perche. Restait à se taire, à ce moment-là. Il a bien fallu se plier aux usages, c’est la vie : débarrasser le plancher, changer de place, faire place nette à chaque fois, ne pas laisser traîner, plier encore. Tu vois, Je repasse par-là. Mais l’esprit ne peut s’empêcher de vagabonder. Image du sphinx dépliant ses ailes froissées, s’arrachant comme sonné à la coque de la mue. Ou feuille légère soigneusement pliée avant d’être enfermée dans l’enveloppe avion qui transportait loin vers le peintre mes lettres via le ciel. Ou livre dont on coupait les pages pliées enfermant le mystère des mots alignés. Aujourd’hui, je me plie à l’exercice. Mais pas en quatre. Et le linge s’entasse encore un peu dans l’intervalle.
Plier. Richesses du verbe et du geste… et en vitesse, quelle allure c’est tellement vivant ! Merci
On a envie de s’y mettre, on plie, on préplie, quel entrain, merci pour l’élan
Le rituel du repassage maternel me parle. Elle gardait des montagnes de linge avant de s’y mettre. J’ai choisi de ne pas repasser. Je n’ai jamais eu sa patience.
Merci pour ce texte
On plie, on déplie, on se plie…oui si riche pour l’imaginaire !
oh s
oh saveur et plaisir de se sentir un peu moins seule (moi je plie et mets la pile en évidence pour me « motiver » mais ça ne marche pas
et cette réponse de la mère (ça aussi vécu et parfaitement normal, perche tendue oui)
ben oui, on s’y retrouve dans ces pliages inévitablement !
eh oui moi aussi je plie le linge en attente pour qu’il prenne moins de place et ne me rappelle pas à l’ordre à chaque instant
de toute façon « chacun se débrouille avec son désordre » ! tu as raison…
et puis chouette ta dernière phrase…