Elle reprend sa respiration et instinctivement se penche, sans même regarder son pied, tire sur l’élastique croisé sur le coup de pied, puis glisse son index entre l’arrière du chausson et le pied. C’est un réflexe. Et vérifie la semelle de cuir, lisse et contrôle si suffisamment collophanée. Ici n’est pas tapis de danse ni parquet mais revêtement glissant, casse-gueule, pas fait pour ; un sol de fitness, rien à voir avec la danse classique mais c’est ici qu’elle s’entraîne pour le moment. Elle dit, en attendant de trouver mieux. C’est ici qu’elle donne ses premiers cours de contemporain à des adultes, sous forme de stage, pas trouvé mieux que cette formule-là. Du beurre dans les épinards. De quoi acheter de nouvelles pointes. Alors ses demi-pointes usées à la corde, vérifier qu’elles tiennent encore, qu’elle sont toujours bien à ses pieds, qu’ils ne glisseront pas. En réalité, elle ne vérifie pas vraiment, le geste est machinal. La main connaît le chemin. Elle le connaît par cœur. Elle ne flotte pas, fuse, directe, directive. D’autorité remet en place la demi-pointe qui n’a pourtant pas glissé. Ajuste côté gauche, puis côté droit. Combien de fois ? Peut-être dix, vingt fois par entraînement, après chaque enchaînement, chaque variation. La main pour le faire autant, rompu au geste de l’ajustement, la main les yeux fermés, l’automatisme, le geste pur. Moi, je dirais le tic. Convulsif, involontaire, peut-être addictif. Que la main ne le fasse pas et quelque chose manque, un frétillement, une démangeaison dans le fond de la paume. Qu’elle soit empêchée pour une raison que j’ignore et le froncement du sourcil, le pincement des lèvres, le clignement bref de l’œil. Une nervosité sourde monte dans les terminaisons, picote le bout du doigt, brûle la deuxième phalange, se répercute dans l’articulation. Elle le doit, maintenant. Il faut qu’elle ajuste son chausson.