#gestes&usages#08 | Il arrive en frappant

Les wagons désertés continuent à assurer la circulation d’un point A à un point B, à traverser les gares de banlieues, à s’arrêter sur des quais où dans l’ombre sous l’auvent, attendent quelques demeurés, c’est dimanche en août, sans doute comme ça qu’il est monté, qu’il arrive en frappant les sièges de la rame presque vide avec son cran d’arrêt, il a la haine, il va les niquer tous ces bâtards, tous ces poukavs, qu’on jamais rien compris, il avance d’un pas frappé tensionné ponctué d’un rire qui qui fait basse, un remix de vociférations, malédictions, histoire de réveiller ce putain de wagon, il arrive en frappant tous les siège de la rame presque vide avec son cran d’arrêt, nous laissant déglutir figer nos regards, rétrécir pour laisser passer le goulet, la colère qu’on ne peut contre aller, à avaler notre peur, cherchant à contenir les vibrations, les auréoles de peur qui vont l’attirer, voir sans le fuir sans le voir tout en le voyant, les yeux transparents qui le devinent en périphérie, collés à la vitre, collés aux pavillons ceux là même collés entre eux pour résister aux tours qui ont détruit les pavillons d’hier, se laisser traverser par les tags le long de la voie ferrée, le long des ballasts, les grues à l’arrêt, les tombes du cimetière, le mur aveugle, la seine au ralentie, il arrive droit vers nous en frappant tous les sièges de la rame presque vide avec son cran d’arrêt, la distance se retire, s’amenuise, il se rapproche, rien à faire dans les trains il n’y a pas mille façon de circuler dans la travée, on sait que c’est le moment d’agir, mais on pense emmêlé obnubilé par l’endroit où il serait monté Putain  Puteaux , la Défense ou Bezons , sachant que le train est un omnibus, qu’après c’est Bécon et après Bécon, la station, peut être qu’il n’ira pas jusqu’à Saint Lazare, un vrai problème de train ce n’est pas le moment descendre à la prochaine mais si ça l’énerve et qu’il nous suit, le fait est que nous sommes là, ça c’est la réalité, nous deux, Antoine et moi et mon gros ventre, nous trois, tous les trois avec le camé excité, les autres dans le wagons se sont volatilisés, mouches au plafond, peut être déjà morts, hors les corps, mais mois je sens le mien, bien vivant, en doublon, mes mains en bouclier sur le dôme du ventre et Antoine contre moi qui a fait du judo, il remonte toujours l’allée en lacérant à grands coups de lattes les banquettes en skaie qui se fendent comme des gousses de petits pois- mon ventre mon bébé passe de l’autre côté de la colonne comme un sac à dos, d’un geste preste avec la paume de la main droite qui ferait un tour en dedans- il remonte l’allée, approche la hauteur de notre carré, une histoire de distance s’il pouvait reculer, se renverser, se rembobiner, aller dans l’autre wagon, celui devant ou derrière, s’il pouvait rester dans le segment de l’autre compartiment, mais le curseur veut que sa démarche chaotique s’arrête là, et qu’il s’installe face à nous, ou plutôt qu’il se laisse tomber sur la banquette pour discuter frère, parce que ça fait longtemps qu’il en a envie de parler dans cette ville où ils sont tous barrés,qu’il gamberge trop quand il a plus de clope si on pouvait envoyer un peu de fraîche pour qu’il cantine, on s’exécute, on écoute, on admire même le cran d’arrêt, la gâchette, comment ça s’enclenche et de nous pencher quand il nous montre sa planque à zoula sous le revers du jean et lui de baisser sa chaussette Nike, ingénieux la cachette, on lui parler en essayant d’y mettre toute la confiance dans le chaos, en essayant de dissoudre la crainte, tout ce qui pourrait le contrarier et le refaire basculer dans les coups de latte, à celui qui lui posera le plus de questions jusqu’à arriver dans la gare, à voir le train longer les hauts murs gris de Saint Lazare, à deviner le quai qui enfin longe la rame, les portes qui s’ouvrent à se serrer la main, la paix mon frère et le voir remonter dans la rame d’en face.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.

2 commentaires à propos de “#gestes&usages#08 | Il arrive en frappant”

  1. Wahou, une vraie tension qui monte. Et cette scansion de cet homme qui avance, avance, se rapproche en lacérant les sièges du compartiment presque vide à coups de cutter. C’est puissant.

  2. Merci, j’ai écrit en écoutant du rap pour me mettre dans un rythme et une tension.