Ma mère m’apprit à attacher mes lacets, elle mettait beaucoup de bonne volonté, j’étais l’aîné, il me fallait apprendre. Il s’agissait (peut-être) de mes premiers souliers, comme de modernes chaussures de montagne, en plus petit cependant. J’étais assis, elle s’accroupissait, ou s’installait sur un tabouret en face de moi, me montrait, m’enseignait les boucles, le serrage, commentait en choisissant des images – tu vois, c’est un papillon, il faut faire sa deuxième aile, autour de ton pouce – ; je tâchais de reproduire ses gestes, mais sa position « en miroir » inversait les détails, je faisais tout à l’envers. Un matin, elle s’est assise à côté de moi, nous avons repris les gestes un à un, elle nouait son lacet, je nouais le mien, à l’endroit, comme en parallèle. Lacer, délacer, nous avions compris, tous les deux.
Bien chaussé, lacets serrés, je pouvais me lancer dans l’aventure, explorer la maison dans sa dimension verticale, me confronter à l’escalier, cette invention diaboleuse, je créai ce mot associant le diabolique et le merveilleux (je découvrirai bien plus tard les mots-valises). Invention merveilleuse me donnant accès aux étages : supérieur (chambres, salle de bains), supépérieur (le grenier), inférieur (la cave) ; invention diabolique, aménagement d’espace et de volume où choir cause blessures de natures diverses (gnon, œdème, luxations, fractures, jusqu’à l’effrayante « du crâne » toujours mortelle). On m’apprit à monter et descendre cramponné à cette rampe, longtemps trop haute pour moi, mais heureusement tenue par des barreaux accessibles aux mains petites. L’escalier, contrebalancé, se composait de marches de formes différentes, trapézoïdales au tournant, (« prudence, prudence, surtout en descendant ! »), dont, chaque matin, je simplifiai la descente, alliant sécurité et confort, en glissant sur mes fesses et son bois bien encaustiqué °. Cette forme de descente tolérée par les adultes (« ça lui passera ») se faisait alors en pyjama et chaussons.
Adulte, j’ai découvert, dans les pays du nord, l’habitude de quitter ses chaussures en entrant chez quelqu’un, de les troquer pour de locales « charentaises ». En Scandinavie, depuis toujours, les occupants d’appartements ou de maisons individuelles ont appris les vertus hygiéniques et confortables du délaçage-laçage de leurs chaussures, répété, seuil franchi, lors de chaque visite amicale. A ma connaissance, seuls le facteur, le laitier ou les personnes en difficulté motrice en sont dispensés. La neige, la boue, le froid des rues ne pénètrent pas chez l’habitant, à chacun de veiller au bon état de ses chaussettes.
° Ce zeugme non prémédité enchante un après-midi pluvieux
et revoilà les papillons que n’ai jamais été capable de réussir (honte à ma mère 🙂
c’est eux les lacets qui m’étaient diaboleux (quel joli mot !-) bien davantage que les escaliers
ne serais pas digne de visiter les gens du nord
suis juste capable d’apprécier ce texte