Depuis cinq ans, Mireille travaille au Leclerc de Provins. Le centre commercial de Champbenoist est à côté de la gare Champbenoist-Poigny. Enfin, c’est davantage un arrêt qu’une gare parce qu’un quai et un abri avec trois bancs ça ne remplace pas une gare avec un guichet. Mirelle travaille au Leclerc cinq jours sur sept dont deux samedi par mois. Elle est souvent à la caisse, la dernière, la numéro 22, celle qui est près du petit passage à côté de l’espace culture. Mireille a les cheveux plaqués sur le crâne et une queue de cheval rachitique retenue par un chouchou, elle porte toujours une polaire violette parce qu’elle est à côté de la ventilation qui lui envoie de l’air dans le dos toute l’année. Elle porte un badge Leclerc avec son prénom accroché au-dessus du sein gauche, Mireille. Elle ne sourit plus, ce n’est même pas de la tristesse, elle n’en a pas la force. Parfois, elle entend des soupirs appuyés, des remarques « on a tiré le mauvais numéro… on est tombé sur un escargot… », il y en a toujours qui trouvent qu’à côté ça va plus vite. Elle ne leur dit pas d’aller voir ailleurs, elle n’en a pas les moyens. Alors, elle répond « bonjour, vous avez la carte Leclerc ? » et elle attrape les articles qui arrivent en continu sur le tapis. Avec la main de droite, elle tient l’article, le scanne et le passe à la main de gauche qui le libère sur le côté. Pendant ce temps, le client range ses courses dans un cabas. Parfois, il y a une rupture dans le rythme, elle trouve un soutien-gorge ou un t-shirt avec un antivol à ôter. Mais c’est surtout de la nourriture qui lui passe entre les mains toute la journée, des kilos et des kilos de brioches, de paquets de gâteaux, des boîtes de conserve ou des sachets de surgelés. Les packs d’eau, les packs de lait, les pâtes, les yaourts par paquet de 16 défilent. Mireille voit les différences entre ceux qui ont et ceux qui font au mieux, ceux qui posent sur le tapis les produits en promotion regorgeants de sucres et d’huile de palme, les produits Eco+ ou ceux de la marque Repère et ceux qui déposent sur le tapis des produits bio, du poisson et des légumes en sachet. Qu’est-ce que ça veut dire être pauvre ? Manger Eco + ? Le seuil de pauvreté est à 1102,00 euros par mois. À 1103, on ne fait plus partie des 10 millions de pauvres qui vivent en France. Hum, hum… 10 millions, c’est bien vrai ce mensonge ? Mireille ne pense pas longtemps, le bruit de la ventilation juste derrière elle au plafond, la musique joyeusement glauque, ponctuée par des annonces sur les promos pendant les fêtes figent toute réflexion. À la fin de la journée, les paupières sont lourdes, les jambes aussi. Quand elle rentre, elle n’a plus de patience pour les enfants, vu que la journée, elle donne tout ce qu’elle a d’énergie au Leclerc.
Incroyable comme on voit tout des gestes. Jusque dans la rupture ( antivol) . On est complètement avec Mireille derrière sa caisse dedans et à distance dans un décompte implacable.
Rétroliens : Mireille – Khedidja Berassil – Fictions à partager
Merci pour votre lecture. Oui, Mireille est coincée dans sa vie, derrière sa caisse. La pauvreté en France, devenue une « normalité » qu’on croise tous les jours…
Merci pour ce magnifique et triste texte, ce portrait si vrai de Mireille.
Merci pour votre lecture. Mireille n’existe pas et pourtant, elles sont si nombreuses…
J’aime beaucoup votre texte. Il est très touchant, avec pourtant une grande simplicité dans la langue. Vous faites vraiment surgir un personnage.