A lecture de La Honte, je m’interroge. Qu’est-ce que cette lecture a convoqué ? Maintenue dans l’enfance, souvenirs de gestes, d’attitudes d’un autre temps. Les images se succèdent. Je ne m’en plains pas. Au contraire, j’apprécie d’aller creuser dans ma mémoire (voyage presque archéologique). Je ne pensais pas me souvenir de grand chose. Et pourtant, en vrac, ça remonte.
Le gras des Msemen (crêpes feuilletée à la semoule) débordant d’huile, le gâteau de semoule à la vanille, réminiscences qui me font saliver en écrivant.
Mme L. le sourire caché derrière l’air grave, « dis la vérité car mon petit doigt me raconte tout ». Un éclair d’inquiétude me traverse, un bref silence pendant que je m’interroge sur les capacités extraordinaires de son petit doigt. Sait-il ce que je pense ? Mes pensées sont-elles justes ?
La musique de la camionnette du marchand de glace pendant les vacances d’été, les bâtons de réglisse mâchonnés et sucés jusqu’à l’écoeurement, la crise de foie d’avoir mangé toute la poudre un sachet d’entremet à la framboise.
Chanter Claude François avec les copines et jouer à danser comme les clodettes devant la maison.
Impressionnée, presque effrayée, par la disparition du ticket de métro jaune rayé d’une bande magnétique marron aspiré sans ménagement par la fente d’acier et récupéré au passage du tourniquet, la première fois que je pris le métro, mon père m’invitant à avancer d’un geste de la main.
Le café noir dans un verre Duralex, la couche de sucre dans le fond, le bruit de la cuillère contre la paroi, la main se refermant autour du verre hexagonal.
La façon dont ma mère tenait son porte-monnaie avant de « partir en course » glissant son pouce dans l’anneau cousu dans le cuir, le bruit sec quand elle le refermait « clac! ». Le marché couvert du samedi matin au P.St.G. ou en voiture avec mon père sur la place de la caserne B., près du canal de l’O. : les cageots remplis de kakis moelleux contre les sachets de papier aux fruits choisis.
Les filles jouent à la corde à sauter ou à la marelle et les garçons au football. Je joue aux billes avec les garçons, je collectionne les billes et les calots colorés en verre ou en porcelaine. Un deux trois soleil, nous jouons tous à la balle au prisonnier.
En rang à la fin de la récréation devant la porte de la classe donnant sur la grande cour de marronniers.
En classe lever la main avant de parler, le siège fixé à la table de bois, le grand casier vertical contenant les cartes de géographie, le bruit du bois qui claque quand la maitresse le referme.
Endurante, infatigable, tout comme Annie Ernaux enfant, l’impression que rien n’existe en dehors de mon monde famille/école/amis.