Au bout de la rue, le soleil naissant caresse la façade vitrée du bâtiment bloc miroir d’argent. Un mur, une grille portail. Au fond, une grande bouche noire avale les voitures blanches aux sirènes bleues. Derrière le miroir d’argent qui s’efface sous les nuages, la blancheur continue, lits blancs, vêtements blancs, silence blanc. Défilé de blouses blanches, de tables roulantes chargées d’outils en métal, en verre, en coton, en papier. Sons amortis, hors de la ville, hors de la vie. Douleur, détresse ultime ou joie d’une guérison libération retour sur la vie. Silhouettes d’escaliers, d’ascenseurs, dix étages jusqu’au toit plat où se pose l’hélicoptère. Le soir, toutes les vitres deviennent or et feu sous le soleil couchant.
Grand hall où se perdre. Murs en verre, portes en verre, cage en verre. Panneaux à droite, panneaux à gauche, panneaux devant, panneaux derrière, sortie vers les bus, sortie vers les trams, sortie toutes directions, blanc et bleu, rouge et blanc, néons jaunes et verts. Pavés gris clair, lisses, glissants pour les pieds pressés, pour les roulettes de valise, pour les retrouvailles. Escaliers pour descendre, escaliers pour monter, escalators transportant passagers et bagages, cahotant hoquetant malgré leur modernité, rails au fond d’un abîme bordé de vastes quais, panneaux accrochés au-dessus des têtes chercheuses, destinations, horaires, chiffres, lettres, la vue qui se brouille, le cerveau qui décroche, c’est par où… c’est lequel… qui peut me dire…je vais rater mon train…
Tour dominante, gratte-ciel se frottant au soleil et aux étoiles, un conte en chiffres, des comptes pour gratte-ciel, 40 000m2 de façade toute en hauteur, érigée à la verticale à se tordre le cou pour voir la cime, miroir géant, 7200 fenêtres doubles ou triples aveugles qu’on ne peut pas ouvrir, que devront nettoyer des laveurs de carreaux acrobates ou Spiderman, 210 m en hauteur, bureaux à la clim pour respirer, couloirs courant en rond dans tous les étages, 25 ascenseurs, le plus rapide montant au 56e étage en 38 secondes, jusqu’au bar panoramique le plus haut d’Europe et si vous voulez toujours plus, grimpez encore trois étages par les escaliers pour la plus haute des terrasses, pour la plus belle vue, pour admirer les étoiles dans la nuit, pour patiner en hiver, jardiner au printemps, pour fêter l’été… que des records la tour des records plus fort plus haut plus loin.
Après ce vertige descendre sur terre, aller voir ailleurs, le regard droit devant vers le portail tournant, portes de bois et de verre, tournant lentement autour du pivot central, partant revenant au rythme de grand-mère fatiguée, tu pousses presses impatience stérile, ne pas forcer le passage, puis portail devenu porte automatique qui s’ouvre en chuintant, se ferme en cliquant, parfois pleine de secousses ou bien oubliant de s’ouvrir – attention au choc – ne pas forcer le passage, le regard droit devant découvrant un vaste espace, on dirait une place de village fermée et couverte, bar, café, pâtissier, glacier, marchand de journaux, cinéma au fond, et à droite une grande ouverture entre des piles de livres, des bacs, des étagères, des tables chargées de livres, ambiance feutrée, respect, prévenance, des lecteurs sur la banquette en cuir bleu à lire des livres pendant des heures, ou assis par terre, sur la moquette fanée, plongés dans un autre monde…
Carrés, rectangles, cubes et arêtes, failles qui creusent ce paysage, rues, ruelles, avenues animées, tu marches dans la poussière, dans les courants d’air, dans le soleil plombant bridant le pas des passants, sous le ciel gris et pesant, carrés, rectangles, losanges, triangles, le rond des arbres pour adoucir, le rond des bassins pour rafraîchir, les arabesques des parterres fleuris pour embellir. Du haut de la colline ou d’un clocher ou d’une tour en verre, tu domines, tu planes, zoom sur les environs, quartier de verre et de métal, quartier de grandes barres en béton gris, quartier blanc et vert des palais, vue sur des toits rouges balcons terrasses entailles des rues encombrées de fourmis trottant dans une file de fourmis affairées courant dans ce labyrinthe pour trouver le sens de leur vie
Un tourbillon d’images, dans un texte enlevé comme tu sais bien les écrire où se pointe une narratrice égarée. C’est vivant, plein d’humanité alors que tu ne fais que nous raconter des tours, des escalators, des cages en verre…
Merci Marlen. Parfois l’écriture m’emporte dans des souvenirs, des paysages, des moments marquants, c’est un plaisir de suivre. Parfois, c’est plus dur!…je ne sais pas si je vais attaquer la bio…beaucoup plus hard, en plus de tous ces textes géniaux qui arrivent jour après jour…