Encore quelques pas … ou pas, dépasser l’appréhension, me serais-je égaré , monologues interminables mais là, présents, sensations douloureuses des pieds fatigués, crispés, du sol urbain qui n’accueille pas, rudesse qui repousse, saleté qui dissuade, circule, circule, cet espace- là n’est pas fait pour les promeneurs, un urbain va de A à Z, ne s’arrête pas, le corps doit avancer , slalomer entre mille engins à roues, à pédales, à moteurs qui pourraient précipiter ta chute, et le sol urbain te repousse, toi, rêveur égaré, corps tendu , ne pas rompre ne pas sombrer dans la cacophonie des tourments, ce sol- là n’a aucune compassion pour les chutes,
et encore quelques pas … ou pas, à nouveau contourner les aspérités, bosses, pièges des dénivelés, chausse-trappe traitres, les éviter de toutes les façons possibles, louvoyer encore et encore dans la densité des corps, des heures, des escaliers, des mêmes sorties , sortir et passer d’une densité à l’autre, l’air manque, relents de fritures, âcreté des sueurs , écœurement des effluves, marketing contemporain à l’œuvre, conditionnement, temps actuel, consommation forcenée, vies qui se dupliquent, épreuves qui se renouvellent à l’infini, des journées, des semaines, tu ne sais plus, ton quotidien t’interroge , que fais-tu ici, perdu, zigzagant , presque hagard, mais ne pas s’arrêter , lassitude face au bitume toxique pour les âme égarées, sans fin, énergie désespérante, désespérée, tu ne sais , survivre, vivre sans doute un peu plus tard ,
et à nouveau, encore quelque pas… ou pas, hésitations face au chemin qui va de toi à toi, mais tu ne le sais pas , pas tout à fait, tu ne veux pas voir les obstacles intérieurs, tu ne vois que l’extérieur, tu ne joues pas avec les bons codes, tu les as oublié peut- être, il te faudrait faire le point, souffler un peu, cesser le mouvement d’automate qui te fait marcher, tes pieds, ton dos, tes bras, ta tête te le demandent , tu n’entends rien , rien de possible qui puisse modifier quelque chose, maintenant, pas demain, tu as su tout ça, mais tu ne peux toujours pas, conditionné à reproduire , ton imagination semble t’avoir déserté, changer de planète , ta condition te colle au plus près du sol, sans perspective possible visible ,
et à nouveau, encore quelque pas… ou pas, chercher le point d’eau, salutaire quoique, te sauvegarder, mais non, pèleriner, anonyme, l’un et l’humble, le mouvement d’abord, ressentir sous les plantes de chaque pied, chaque texture , chaque sol, comme annonces des rencontres prochaines, aridité ou sécheresse des caractères, amabilités feintes ou réelles, rondeurs des propos ou flèches acérées, s’en accommoder, mieux percevoir le jeu subtil des échanges, pas d’imprudence, il sera toujours temps, les semelles usées se fondent mieux , là où elles passent , essentiel de se fondre quelquefois , comme élément minéral du paysage ambiant,
et à nouveau, encore quelque pas…ou pas, un léger tremblement, de combien d’univers sommes-nous constitués, et sous les sols ? Vertige des abysses, le sol pourrait s’ouvrir, disparaître, plus d’appuis possibles, mauvais rêve sans doute , respire, ton esprit vagabonde, pieds nus désormais , tu laisses des traces sur le sable mouillé, traces éphémères, temps d’une marée, simplicité qui te relie , ciel et sable, ombres et lumières , ton présent se souvient de bribes éparses des paysages autrefois traversés, sable rugueux des paysages bretons, sable doux et fin du littoral landais, limon des bords de Loire, fraîcheur des petits cours d’eaux ici et là , forêts de chênes, forêts de pins, des verticalités familières, des sols où tu peux laisser des traces éphémères , mais des traces possibles , et tu mesures l’hostilité du bitume urbain à l’impossibilité d’y laisser traces, n’y être que de passage, en suspension et de A à Z.
Très beau rythme dans l’écriture.
Il y a un rythme de l’urgence. Un autre qui appelle à ralentir. Un autre encore qui appelle à se chercher, se trouver soi, accepter.
Chaque fragment appartient à lui seul. Et l’ensemble forme un tout. J’aime ce genre d’écriture. Indépendance, et lien.
J’apprécie particulièrement les fragments 2 et 3.
Ce rapport à la consommation, au conditionnement, les épreuves, la perte de soi…
Bravo Annick !
Et merci pour ce fort moment de lecture.
Merci Annick. Je rougis de confusion ! Très touchée par ton retour . A propos du rythme, il n’y a pas tellement de différence , me semble-t-il, entre écrire des mots ou placer des notes sur une portée, il faut vraiment que ça fonctionne avec le souffle, cad pouvoir reprendre son souffle et tenir sur le souffle.
Annick, merci pour ce texte, relu deux fois. Cinq mouvements…avec le même sous-titre, sont superbes et le commentaire d’Annick Brabant m’a aidée à mieux le lire.
Merci Simone Très touchée également. Oui, cinq mouvements, cinq digressions, une espèce d’épopée urbaine La question qui subsiste : aurai-je pu écrire d’autres mouvements ? Et bien je ne sais pas mais comme on peut modifier son texte , la porte peut rester ouverte si j’ose dire.
Quel beau texte où les sensations sont premières (ce sont elles qui font écrire, j’ai l’impression) avant le retour en soi tout en restant toujours ancré dans le sol, et dans ce rythme qui nous happe…
Merci beaucoup Marlen . Les retours me font avancer sur ce que j’appellerai une forme de lucidité sur ma propre écriture.