4 juillet à 19h30, plaqué, coincé entre tout et tous, le mouvement s’affole. Première accélération, croisements, brouillage d’écran : des vélos, des voitures, des numéros, des billets, des jetons, des fentes pour les jetons, des tatouages de parking. Quand la ville nous avale, de la salle de déchoquage au bloc opératoire : tout devient urgence. En premier, des roues cadenassées, des vélos soumis à une haute idée de la salubrité ; la famille de cyclistes s’enchaîne au collectif.
À droite le parking, mélodie à cinq notes en sous-sol « Ré-mi-do-do-sol », un tatouage échoué à terre : c’est le nôtre. Notre temps à durée déterminée par une double contrainte – captation et force de l’ordre – on note le numéro, flash-camp concentration urbaine. La conquête des sous-sols soumettent aux questions, « où-là-ici-c’était-mieux-là-bas-non-oui ? » Inquisition ? Non, sas de compression ! Identité éphémère enregistrée sur carte de téléphone, on mondialise ses traces par un fil à la place gardée quand vaquent à la surface nos filiations en chaîne virtuelle. Au centre, panique à la carte, et au jeton : incursion dans les fentes, là où se cachent et s’empilent nos ADN. Une assurance : l’appartenance à une communauté de bons et loyaux commerces. Enclenchés, carte et jeton, la chaîne nous offre un temps de non-liberté, l’espace d’un simulacre de gratuité offerte entre musique et promotion nocturnes. Jeton et carte fichés dans leur fente respective nous garantissent la propriété individuelle embarquée. Le téléphone se fait parking, entre-deux, l’espace qui se déroule devant nous reste le nôtre. Vite sortir pour récupérer son ombre.
Au bord du monde, rencontre de robes à pois, l’universel Instagram virevolte dans le quartier. Fond de sacs, zoom sur les mini-bouteilles remplies ou comment l’éducation en flux des tous petits nous file entre les doigts ; les contenants modifiant la forme des contenus : vite avalés, vite éliminés. Sortir le coup d’œil du sac, rechausser son allure. Interruption momentanée indépendant de notre volonté : une nanoseconde de vie d’une micro-araignée sur un rebord de manche : Vlan ! Déchoquage et reprise d’esprit avec le point névralgique de rencontre des Sans queue ni tête : les ombres, enfin celles qui s’agrippent sur le sol, les murs, dans l’air. Il flotte des odeurs d’ombres, à les sentir elles se fixent à d’autres vies qui passent loin de leurs émetteurs. Un vol d’ombres, en vagues érosives.
À Gauche toute ! Tête première dans le bloc opératoire, le gala de danse s’annonce entre, au mieux, les tirs du métronome ajusté, au pire, entre ceux du réglage des bandes-son. Survol là où l’on voit les respirations se mêler à la première sueur des tutus en fleurs. Quelques bulles salines explosent pour avoir trop paramétré le lieu. Progression en silence à la place près, oui encore, et au mouvement imposé. Il y a de la résistance familiale entre repérage et division. Sur les petits s’agrippent, se collent les désirs de grandeurs des familles, la jalousie du frère, l’ironie de la cousine, le sourire niais de Mémé (moi). De quoi suer ! Couches sur couches, empilage sur scène : les petits ne font plus qu’un ; le corps de ballet est constitué. Les spots échauffent les ambitions. Par leur ardeur, les enfants poussent la sueur dans le noir ; les parents climatisés suent à leur tour. Certains se font suer. Exprès ? De côté, sur la ligne jour/nuit, on voit les gouttelettes hésiter, puis éclater dans les mains, entre les paumes qui les happent au vol. Il ne faudrait pas applaudir, ou alors applaudir pour éteindre la suée des petits mis en surchauffe. Sur les rebords des fauteuils, les accoudoirs se chargent de murmures en confidence, si l’envie prenait de s’échapper… Mais les couloirs en crochets sont gardés, protégés de l’assaut ; des agents de sécurité et des bénévoles sont plantés devant les portes d’évasion. Des Statues, ponctuées çà et là d’un adjoint au maire, parfois du maire en personne, d’une ajointe à la commission culturelle là-bas près de l’escalier au cas où un discours s’improviserait, des affiches, des pancartes déjà scotchées dans le futur.
Le temps du spectacle, les rumeurs visio-conférencées vont bon train et flirtent avec le sol, glissent sous les pieds de la salle à la scène ; les bras tendus en l’air, au-dessus de la tête du grand monsieur chauve devant, fatiguent. Les odeurs remontent des mensonges anodins, de l’œil nu à l’œil habillé pour l’hiver. Plus en dessous encore, du côté de la scène, les chaussons se courbent, les talons bêchent, les pointent tapent, un fourmillement de talons-pointes et demi-pointes, univoque en la couleur ; du côté de la salle : un seul pied à terre, les autres restent en apesanteur par la jambe croisée. La salle s’arrime sur des pieds solitaires (mais collectifs), la scène s’active sous la frappe des deux pieds (mais individuels) ; de quoi assurer la stabilité du spectacle. Quelle que soit la surface, l’équilibre s’impose par trépied-témoin. Les théâtres sont conçus ainsi. À la verticale, les filins, les treuils s’activent ; à l’horizontal, les panneaux glissent. En mécanique réversible, les articulations se tendent et fléchissent en échos souterrains. Au-dessus et en dessous, tout devient flux. Mais les bruits ne franchissent pas la rampe !
Déplacement en mode infrarouge. Vérifier les effets sonores, couper la vision en externe et ramper à l’intérieur des images photosynthétiques. Se balader entre les souffles, toucher le bruit, prendre à pleine main une odeur de fleurs de tutus. Sous l’infrarouge, plus de scène ni de salle, seule une ligne ensoleillée persiste. Les familles et petits sont réunis, lucioles jaunes de vibrations ; les cœurs palpitent, les pensées survoltées fusionnent. Arcs lumineux, grouillant de flux. Repérage de quelques failles et surchauffes ; l’espace se remplit de particules sensorielles. Tel un Cern, la pression monte avant le déclenchement du rush out. En coupe, les tuyaux et les conduits de fluides enserrent le passage vers la sortie : un goulet sombre. Il fait chaud moite. Épreuve : évacuation synchrone de la salle et de la scène ; on ne sait pas comment les enfants et les parents se sont retrouvés, il y a eu une absence dans le déroulement du temps, une étape collective sautée à pieds joints.
Dehors 23 h, rassembler ses ombres, suivre le fil sur le téléphone, armer jeton et carte, enclencher fente, libérer fente – ADN laissé – effacer le tatouage éphémère, mettre en roue libre, abandonner sa propriété virtuelle à d’autres, recracher des bouts de ville, lâcher l’urgence, apaiser le mouvement ; les enfants dorment.
Suivre vos phrases est toujours passionnant. Vous semblez écrire d’un état de conscience, vos yeux vos oreilles peu-être votre odorat aussi observent. C’est très très bien, l’écriture vous va très bien.
Merci Rudy pour ce commentaire, je suis touchée.