C’est vrai qu’on s’ennuierait tout le temps, si l’on ne mettait pas un peu de curiosité dans sa vie. Ni les voyages lointains, ni les gadgets technologiques, ni les divertissements de toute sorte, ni les amours les plus diverses ne seraient suffisants. Moi mon truc, c’est de fréquenter les artistes ! Je me restreins aux photographes et aux écrivains, j’ai besoin de pratiquer un peu leurs techniques pour ne pas rester dans une observation superficielle. Les musiciens, danseurs, acteurs, peintres ne sont pas pour moi. La pratique de toute façon me semble toujours plus riche que la consommation. Sinon, tous les artistes, pourvu qu’ils s’affichent comme tel et le revendiquent, qu’ils aient du succès ou qu’ils n’en aient pas. J’aime fréquenter les artistes au travail. Tout me plaît chez eux :
– leur ego effrayant, torturé, indestructible, et souvent larmoyant, leur acceptation fière de leur être tel qu’il est
– leurs projets farfelus, rebutants, déraisonnables ou géniaux, leurs idées loufoques
– leurs réalisations décevantes, incompréhensibles ou renversantes
– leur susceptibilité
– leur procrastination, ou leur travail acharné (par périodes),
– leur bipolarité, leur schizophrénie, leur folie
– leur insatisfaction perpétuelle ou leur contentement de soi
– leur courage matériel, leur impécuniosité chronique et leur constant besoin d’argent
– leurs dépenses irraisonnées pour leur art
– leurs occupations alimentaires et triviales
– leur détestation de la contrainte, leur dédain de la commande
– leur aveuglement et leur perspicacité
– leur naïveté parfois touchante et leur regard autre
– leur méchanceté et leur bienveillance
– leur inutilité sauf à me désennuyer
– leur étrangeté, leurs lubies, leurs a priori
– leurs haines, leurs déceptions humaines
– leur fierté, leur culot
– leur fragilité, leurs angoisses
– leurs réseaux, leurs amitiés et leurs inimitiés
– leurs doutes et leurs certitudes d’avoir un don, d’être supérieur, d’avoir une mission
– leur cour, leurs inconditionnels, leurs flatteurs
– leurs opinions politiques ou leur apolitisme que je ne partage pas
– leur vision du monde à la fois immense et profonde, terriblement superficielle et autocentrée parfois
– leurs parcours, leur formation académique ou non
– leur mépris du succès (des autres ou du leur propre) et sa recherche constante
– leur condescendance fréquente face au public
– leurs revendications vis-à-vis de la société, leur soif de reconnaissance
– leur originalité, leur solitude
– leurs contradictions
– leur impudeur et leurs pudibonderies, leur générosité et leur pingrerie
– leur fièvre, la petite voix qui leur fait espérer la gloire
– leur recherche du Beau (qu’est-ce que le Beau ?)
– leur exploitation, leur dévoration par la société, par le temps, par la mode (pour un Baudelaire, combien de Violette Leduc oubliée (7 livres chez Gallimard) et pire encore
– leur âge, du jeune artiste prometteur (encore que n’ayant rien produit) au vieil artiste oublié et solitaire (bien qu’ayant ou n’ayant pas produit)
– leurs pannes quand la créativité les fuit et leur arrogance quand elle est au rendez-vous
Si j’étais riche, je créerais des résidences d’artistes pour les voir au quotidien, manger et me promener avec eux. J’envie les mécènes qui les avaient à leurs tables et se régalaient de leurs propos, de leurs colères, de leurs bizarreries. Je serais comme les artistes si j’osais. Ils me font m’accepter comme un être imparfait, mais bien plus raisonnable qu’eux. Heureuse de n’en avoir ni épousé, ni enfanté, j’aime fréquenter les artistes au travail ; en représentation il sont moins passionnants. Au fond de l’inconnu pour trouver du nouveau : fréquentez les artistes !
Un coup de vent votre texte, Danièle, ça décoiffe et on aimerait l’entendre ce roulement de mots, votre regard sur cette sorte d’humains est à la fois tendre et drôle, amusé et très sérieux, un « petit peuple » autour de vous qui fait la sarabande !
Cat
Merci Cat. Un plaisir à écrire et à fréquenter.
sont merveilleux, le tout est de ne pas trop investir en eux
Ah, c’est toi qui dit ça ! qui les fréquente sans doute bien plus que moi !
bizarre comme j’ai l’impression de reconnaître quelques un.es de mes ami.es (et mon frère) (et mes soeurs) (et moi) dans ces descriptions à l’emporte-pièce oxymorées tellement semblables à ce qu’ils (ou elles) sont et nous donnent et nous reprennent…
merci Pierre. J’en connais quelques uns et j’étais en pleine lecture de l’oeuvre de Zola, après celle de Térébenthine de Carole Fives. ça m’a donné des idées.