Un homme, d’âge moyen, dont chaque pas est une course, déboule d’une ruette. Il marmonne dans sa barbe comme à l’heure du vêpre, on devine la concentration dans l’absence d’intérêt qu’il porte à sa réalité. Tout le monde le regarde, mais il ne voit personne. Déjà de dos, sa veste ouverte écartelée du frottement au vent, lui donne des allures de comte capé. Il disparait comme il est apparu, bouffé par l’intersection.
Deux hommes se font face devant le bar des arts. Ils sont rouges de vins, bleu de colère. Ils arborent tous deux un gros pif, stigmate de la jeunesse heureuse. Je devine à leurs gestes fantastiques qu’ils avocassent. Ces gestes abrupts ont la tendresse d’amis depuis trop vieux, les mots seront leurs batailles, un blanc sec leurs calumets.
Lui, je le connais ! C’est Claude, le clochard exhibitionniste, qui une fois m’a attendri, en me chantant de tête l’Auvergnat de Brassens. Il est de ces personnages mythique, cristallisé dans le marbre de la pensée. De sa grosse tête, de sa grosse voix, de son rire fou, de sa jambe bandée, cachant aux regards indiscrets la mort qui s’en vient de son pied gangréné, la mort qui s’en va de sa persistance avouée, dans l’esprit de celui qui aime voir.