Les doigts glissent sur les écrans des téléphones ou restent cachés dans les poches des manteaux. Forment là des boulettes avec des tickets de caisse ou égrènent quelques miettes de pain. Certains jouent du bout des ongles avec une lanière de sac à main, grattent une tache sur une jambe de pantalon. On remonte discrètement une bretelle de soutien gorge, on réajuste un élastique de culotte. Rares sont les mains immobiles, retenues de toute activité par les doigts enlacés, posées sur les cuisses.
Les regards glissent aussi. S’ils se croisent c’est par erreur. Faisceaux diffus, à la focale détraquée, indéterminée, vers un lointain sans objet ou louchant sur une conscience fatiguée, muette. Chacun se soustrait comme il peut aux souffles et aux secousses imposés en partage.
Et là, comme sous le coup du marteau du médecin se tend le genou, une chorégraphie furtive et silencieuse se soulève. Pourtant aucun signal : pas de ralentissement ni de sonnerie, pas de chef d’orchestre. Toujours aucun échange entre les passagers. Certains ont tourné la tête vers leur fenêtre. Les autres n’ont pas besoin de voir. Ils savent.
Les doigts levés vers le front, le coeur, une épaule et l’autre. Une vague et le reflux. Geste effacé à peine esquissé.
Le tramway est passé devant la Basilique de la Sainte-Trinité. Les signes de croix ont suspendu le temps d’une syncope le remous solitaire des doigts en une étrange communion, sans joie ni partage, comme un hoquet collectif, simplement inévitable.