Et ça, c’est bien bien longtemps après qu’il se le dira, et se trompera peut-être le disant, comme un cri sur soi, une rage contre lui-même : qu’il s’était laissé emporter dans des abysses masochistes tout en rêvant d’un petit monde propret, un monde idéal. Abysse/propret : tout lui ! A courir après les autres, ceux qu’il aurait voulu être et qui ne voulaient pas de lui, ces autres « déjà pris » comme a dit il ne sait plus qui dans la célèbre formule « soyez vous-mêmes, les autres sont pris », parce que voilà, incapable de s’empêcher de céder à la tentation de ces escales de rêverie dans sa vie annoncée ingrate, car elle l’a été, ingrate, et dès le départ, avec pour premier don d’une mauvaise fée cette fente labio palatine, et pour deuxième cette intelligence déportée, ni scolaire ni ordinaire, et le voilà dans sa destinée toute tracée entre sa faim de beauté et d’harmonie et sa foutue gueule dans le miroir, sa faim de connaissances et sa résistance à toute discipline. Déjà tout petit, c’est rare les tout petits laids, et il était un tout petit laid, une horreur absolue à la naissance selon sa mère qui a refusé qu’on le prenne en photo (mais des photos de bébés affligés de fentes palatines, il en a vu et d’une certaine façon, il la comprend sa mère) donc personne pour lui faire guili-guili comme il est mignon, plutôt un petit saut de côté des proches et surtout sa mère, écoeurée et vaguement apitoyée, humiliée dans sa chair en raison de ce fils laid,. On l’opérera dans trois mois, lui avait-on dit, mais ces trois premiers mois où ses parents l’ont évité du regard reste en lui et entre eux comme un gouffre infranchissable. Epris de beauté/laid, masochiste/arrogant, abysse/propret, Il a été pétri dans des oxymores, toute sa vie est un oxymore et maintenant qu’il se sait « pas si monstrueux que ça », le bec réparé et bien dissimulé sous sa moustache, le chuintement de sa diction amenuisé par des années d’orthophonie, son intelligence ayant trouvé de quoi se nourrir hors l’école, il peut enfin révéler son visage intérieur ( sa beauté intérieure pour parler comme un mannequin de mode!) et pourtant le même qu’il a toujours eu, lui, le petit môme tout excité d’entrer au lycée qu’il a été, le môme impressionné par la grandeur et la solennité du lieu, la peur de se perdre et la perte des rares copains connus en maternelle, avant que la notion de beauté soit si déterminante, dans l’insouciance de la petite enfance ternie uniquement par le visage maternel fermé à triple tours ( et pas de manège dites donc, non, des verrous bien sonores) face à sa mère, pauvre quiche qui avait fantasmé comme elle font toutes un genre de petit prince à boucles en ressorts pour se retrouver avec ce lièvre, cet inachevé incapable de têter et l’indifférence du père qui ne prononcera jamais les mots « mon fils » mais parlera de lui en disant « lui ».
me sens sur une pente savonneuse avec cette histoire de fente, c'est venu comme ça, j'accueille mais bon... Tout ça est encore la faute de la comtesse de Ségur... le fouet en bibliothèque rose. Sans compter un sacré flottement du point de vue avec ce môme, intérieur, extérieur, omniscient?je sais même pas...