La langue coupe là où ça fait mal, comme sa hache fend le bois, mécaniquement, elle résonne à intervalles réguliers, plus personne n’y prête attention, horloge sauvage, il n’y a qu’en partant du coin qu’on réalise qu’elle existait, que la langue avait tranché, qu’il fallait écouter, qu’on aurait pu penser la taille des bouts de bois, se figurer la manière de les transporter, cheval, camion, tracteur, on ne pense pas à l’évacuation des fagots, des rondins, des tronçons, mais inlassablement, lui, chaque jour, il coupe. Le billot s’ouvre avec moins de douleur que les fentes du corps, imagine-t-elle, à condition de ne pas penser au billot vivant, à condition, aussi, de ne pas compter les cernes du bois. Même les enfants ne jouent plus à compter les ans du tronc. Arbres morts, fentes indolores. Pour se rassurer. Les fentes les plus visibles ne sont pas les plus douloureuses, fentes universelles, tout venant, tout le monde y passe, c’est normal. Ce sont les fentes accidentelles et parfois les plus petites qui tiraillent. Ne pas compter les cernes sur les bouts de bois c’est comme ne pas voir ces cicatrices cachées, celles dont elle avait essayé de parler du bout des lèvres, celles de l’histoire du mur, le mur jaune, repeint. On ne peut pas gommer les traces aussi bien sur les corps. Pour lui, les fentes des corps sont aussi inertes que celle dans lesquelles il avait passé les pics de ses boutons de manchette, d’abord à gauche, parce qu’il est droitier, avant de le replier pour qu’on ne voit plus ces deux minuscule encoches dans la chemise, celles qui tiennent le brillant, les fentes souterraines de son luxe inapproprié. Risquerait pas d’aller tronçonner des billots celui-là. La sciure sent meilleur que les éclaboussures de la jouissance, il ne le sait pas, la liste des choses qu’il ignore s’allonge à mesure qu’il prend des Xanax pour redéfinir l’amour. Rangés dans un pilulier qu’il n’oublie jamais, dans la poche avant du sac en bandoulière. Les tronc d’arbres ne se transportent pas si facilement, même s’ils sont aussi bien rangés que des pilules dans des cases.
tout sauf langue de bois
j’aime le tranchant de l’écriture
Merci Cécile pour ce retour!!
Quelle fluidité, quelle tension, quelle transition, super!!!!!! Je t’embrasse.
Oh merci Gauthier pour cette lecture enthousiaste, ça fait du bien! des bises!