Passer par là avec Makuto un premier janvier, c’est avoir seulement la sensation de passer une frontière de temps, le passage d’une année qui a fini d’apporter son lot à une année encore inconnue et pour elle, quelle différence ? La terre de la piste se prolonge en continu et les herbes jaunies de la saison sèche fraîche finissante s’entremêlent encore sans laisser apparaître de no man’s land. Pourtant, Makuto prend un petit sourire pour dire que c’est maintenant Languélé alors que nous sommes partis de Faransi. Connaît-elle les drapeaux et les hymnes correspondants, pas sûr… Le nom des pays d’aujourd’hui sans doute, Gambie, Sénégal, mais on le prononce si rarement au village. La différence de dénomination est relative à une différence de langues qui ne se fait guère connaître que le jour où tu as affaire à l’administration. D’un côté, tu verras s’inscrire sur ta carte ou ton passeport les mots en français, Faransi. De l’autre, tu les verras en anglais, Languélé… Aujourd’hui, la frontière d’ici s’est perdue dans l’herbe que le vent ordonne et désordonne. Plus tard, quand même, Moussa me racontera l’époque où il fallait le connaître, le tracé de la frontière, et pourtant c’était avant même qu’il existe des pays à hymnes et à drapeaux différents. Il fallait le connaître quand on était un jeune homme bon pour l’armée. C’était l’affaire de la génération d’avant, celle en pleine jeunesse dans les années quarante. D’un côté, on était à peu près tranquille. De l’autre, pouvaient tomber à tout moment sur toi de grands filets et tu te retrouvais le lendemain en uniforme des soldats de sa Gracieuse majesté. Enfin, tout ça, tu le découvrirais peu à peu, au contact des infortunés plus anciens, comme jadis sur les marchés d’esclaves. La frontière, c’était donc la séparation entre le silence du ciel et le sifflement des filets qui venaient bousiller ta vie. Pardon, apporter une force supplémentaire contre le fascisme.