Fais s’il-te-plaît. Fais. Essaie. Essaie de ne pas penser – il n’y a rien à penser de la fantaisie insensée des tyrans –, concentre-toi et fais quelque chose de cette fureur qui balaie ce pays que tu ne connais pas, ce pays où tu n’es jamais allée, où les noms des villes sont difficiles à retenir. Regarde la carte. Vois l’avancée des chars, observe les portions en couleurs ou hachurés, ces point incandescents qui brûlent dans une permanence étrange, ces lignes rouges et ces flèches de tempête représentées diversement sur les chaînes de télévision. Comprends combien tout cela revient au même, villes assiégées, ponts détruits pour retarder l’avancée de la mort, portions de territoire soudainement avalées incorporées assimilées au continent du nord qui constitue l’encolure du pôle et s’étend des Kouriles jusqu’au Dniepr, de la mer de Barents jusqu’aux mers intérieures. Pleure en voyant les femmes qui serrent leurs tout-petits, les garçons et les filles emmitouflés aux visages à jamais incrustés de la poussière des bombes lancées sur eux par leurs oncles et leurs frères.
Et puis avance.
Cesse de pleurer.
Rassemble tes pulls et tes manteaux qui ne servent à rien, tout ce qui peut servir dans la vie quotidienne, mets le tout dans un carton propre et porte-le au point de collecte.
Dépêche-toi, presse tes jambes sur le chemin pour ajouter ton souffle à celui des humains saisis par la violence de l’hiver ukrainien. Vois combien ils résistent. Ils ont pris les armes, tiennent des postes de surveillance hâtivement construits aux lisières des quartiers détruits, la nuit le jour à l’affût. Autour d’eux le monde gronde vibre hurle se disloque. Et si le métal ronge leurs doigts gelés et pèse à leur flanc, les corps tiennent debout, les plus jeunes ou faibles blottis autour des braises maintenues vivantes. Et les corps chantent, et les corps attendent la pluie ou la neige ou la fin des temps. Alors chante toi aussi, ajoute ton grain ta vie ta capacité au bonheur à ce lieu pareil à un chantier, un cœur d’orage, un temple du désastre. S’il-te-plaît, chante.
Le Chant comme ligne de fuite… merci Françoise
Difficile de trouver une piste dans ce drame aussi effrayant qu’incompréhensible en un monde qu’on voudrait pacifié…merci Michaël d’être passé par ici…
(je ne suis que très difficilement connectée ces jours ci… je serai plus présente la semaine prochaine pour lire l’ensemble des textes)
houahou la puissance du s’il te plaît ! bravo et merci
venu sans réfléchir, ce « s’il te plaît » comme une imploration, un ordre, une obligation extrême
impossible de réfléchir pour écrire ces choses-là, elles doivent venir du fond du fond
merci Cécile pour ton écho
nous aurions dû en rester là si nous avions trouvé ces mots
Que dire d’autre ?
oh comme il est puissant, nécessaire et bienvenu, ton texte, Françoise !
merci.
Ce texte a véritablement dans ses nervures, la force exacte de la Prière aux vivants de Charlotte Delbo
Une fusion qui éclaire
Merci tellement Françoise
Merci Françoise pour ton passage…
et encore une autrice à découvrir, une prière, un chant…
je vais essayer de trouver car tu attises ma soif !