C’est un jeune homme sac au dos. Il sort de la gare. Il s’arrête un instant sous l’immense porche de cette grande gare d’Europe centrale. Deux anges de pierres encadrent une immense horloge. Il est en avance. Il est sous l’horloge qu’il ne la voit pas. Il voit la ville. Son sac à dos est plus haut que lui. Les lanières aux épaules sont larges. Le sac pèse. À sa main gauche, il porte aussi une sacoche en cuir d’un autre âge. Il part sur la gauche de la gare dont il longe la façade vers les bus plutôt que de descendre dans le métro. Sur le côté de la gare ferroviaire, la gare routière. Il prend d’une main son billet à un guichet automatique sans changer la langue proposée à l’écran. Passant sa main droite sous son bras gauche, il tente de dézipper la grande poche latérale gauche de son sac. Il n’y arrive pas. Il place un instant la sacoche de cuir entre ses jambes, et finalement retire des pièces d’une poche de son jean. Il paye en pièces d’euros. Tous les bus sont jaunes, rangés en épis sur de petits quais numérotés. Il monte dans le M41, quai 7. Les deux portes du bus sont bloquées grandes ouvertes, moteur à l’arrêt. Il monte par la porte avant. Une fille est assise en avant du siège isolé à l’avant du bus, juste derrière la place du chauffeur. Il la remarque. Ses cheveux sont décolorés, blonds, ses sourcils sont noirs. Elle porte d’une seule épaule un sac à dos Kanken couleur prune. Elle a les mains posées comme le ferait une vieille femme, à plat sur un sac de course bien plié sur ses genoux. Il passe devant elle, sans croiser son regard, s’avance vers le milieu du bus, poinçonne. Il se place debout, sac à dos calé, appuyé à la vitre du bus, sa main droite saisit une des barres verticales qui font face à la porte centrale, la sacoche en cuir est maintenant sur sa gauche et l’on peut voir qu’elle est fermée d’un petit cadenas à 3 chiffres, c’est une erreur de débutant. Sept personnes, dont un homme à casquette de marin sont maintenant dans le bus. L’homme à casquette porte un sac à dos pour appareil photo. Le chauffeur monte, il pose une valise de type attaché-case sur le coté de son siège, allume différents contacts, met en route, les portes se ferme et le bus démarre dans une large manœuvre avant un stop. Puis il s’engage dans la circulation. Le regard du jeune homme se dirige sans cesse vers ceux qui montent et descendent. Il distingue les boutons d’ouverture des portes, et les boutons qui servent à demander l’arrêt. Il guette le moment, surveille chaque montée et chaque descente. L’homme à casquette de marin descend, un jeune en survêtement jaune et noir monte par la porte centrale. Le bus repart et la fille aux cheveux décolorés se lève et se rapproche de lui, elle déplie son sac de course comme elle déplisserait sa robe. Elle ne le regarde pas. Il guette ses gestes. Le prochain arrêt est celui juste avant Hermannplatz. L’écran dans le bus signale que l’arrêt a déjà été demandé. Pourtant tout en tenant la barre d’une main la femme appuie deux fois de suite sur le bouton de demande d’arrêt. C’est le signe convenu. Le bus freine, les portes s’ouvrent, le bus est l’arrêt, deux hommes montent, le sac de course est posé au sol, il pose la sacoche dans le sac qu’elle reprend immédiatement pour descendre. Personne d’autre ne descend avec elle, il reste donc dans le bus. Les portes se referment. Il la regarde quelques secondes marcher dans le même sens que le bus. Ils ont cette nécessité parfois d’en faire un peu trop. Qu’importe, qui lui reprocherait cette recherche d’un supplément de sens. Il descend à Hermannplatz et attend comme prévu le passage de deux bus M41 pour s’assurer que tout va bien, c’est le protocole prévu. Au même arrêt il attend encore un peu et monte dans le 194. Sans la sacoche et bien campé sur ses jambes légèrement fléchies, dans ce bus dont les suspensions lui semblent plus souples, il se laisse alors à regarder plus librement. À chaque feu de signalisation, chaque virage au carrefour d’une nouvelle rue, il voit cette ville. Tout en repérant les noms des arrêts, il voit. Tout lui semble plus beau qu’ailleurs parce que rues sont larges. Il aime voir que tout ici semble plus large. Ce n’est pas tant plus haut que plus large. Il s’attache à regarder au-dehors les images de tout ce qui défile toujours un peu trop vite, vitrines de magasins derrière les arbres, affiches qui recouvrent les distributeurs électriques, noms de marques sur des panneaux, mots imprimés dans cette langue qu’il regrette toujours de ne pas mieux connaître. Il remarque l’immeuble d’une banque nationale. Il sait qu’il est proche du lieu où il doit se rendre et loger. Il demande l’arrêt. Il descend du bus sur un trottoir de pierres, de grandes pierres rectangulaires qui tracent de grands passages qui semblent exister depuis longtemps. Il marche vers l’Est. Ces rues font aussi place aux bancs publics, aux carrés d’herbes folles, à des tables et des chaises au pied des immeubles ou sous les arbres. Il s’étonne du calme, du peu de bruit pour tant de vie, de la place faite au calme, tout autant qu’aux vélos. Il n’en revient pas de ce flux permanent de vélos, d’où il vient ce n’est pas ainsi, pas encore du moins, des vélos il n’en a jamais vu autant. Il marche en parallèle d’une femme enceinte qu’il dépasse. C’est la deuxième femme enceinte qu’il croise en peu de temps dans cette ville. Il a remarqué beaucoup de parents et leurs enfants, un bébé porté, un parent et un enfant parlant. C’est heureux. Lui est parent sans enfant, cela fait partie de la charte des porteurs. Il pousse la porte du numéro 18, Karl-Kunger-Straße, à Treptow. Il passe les boîtes aux lettres, passe la cour, rentre dans le carré d’immeuble suivant et monte au quatrième étage. La porte en face sur le palier n’est pas fermée à clef. C’était prévu.
Il pousse la porte d’entrée de cet appartement. La lumière du palier éclaire un couloir sans fenêtre qui donne sur quatre portes dont une est entrouverte. Il entre encore, c’est la cuisine. Elle est plus grande qu’il ne l’aurait pensé. Il pose son sac à dos sur le sol en lino contre la porte du frigidaire. La carte postale est aimantée sur la porte. Il ne la prend pas tout de suite. Il s’assoit à une table ronde. La nouvelle sacoche est posée sur la table.