Mardi
Entrer par la porte derrière, jamais de face, jamais frontal – habitude contractée depuis l’enfance. Toquer trois coups, trois fois trois coups, entendre venue de loin l’affaiblie voix par les années, quelque peu stridente par l’inquiétude, et voir le visage soulagé et vaguement heureux de retrouver un autre familier. Habiter par habitude, ne jamais s’installer. Dire des banalités, ne répondre que par hochements de tête et des “Tu m’étonnes”. Vingt-deux années de rencontres ratées, toujours passées à côté, au fond ne l’avoir jamais véritablement cherchée, au fond cet écart nulle part et jamais remédié. Et la peur pourtant, la crainte plutôt, latente et sans émoi, d’un jour frapper à la porte et ne se voir répondre que le vide. Et le silence surtout, un grand silence annoncé et dont on déjà dilapide les fragments de souvenirs. En mémoire lancinant ces mots : Il est temps que je crève. Ou encore, d’autre part : Il serait temps que tu crèves grand-père.
Est-ce d’avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d’hier
Et d’avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières
Et s’ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d’argent
Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit: „Je t’attends“
Mercredi
Vieil homme, centre vaccin, ce vieil homme précisément qui demande s’il faut bien s’asseoir ici. Lui répondre. Le voir hésiter à s’asseoir tout près – se rétracter à voir l’Ex-voto de 1662. Bien loin d’ici. Aucun tremblement que celui de s’avérer trop proche d’un autre que soi.
Jeudi
Vide sensation quand (rares moments) seule, à l’écart, et qu’au lieu de se recentrer, ça se disperse. Sensation de marécage, marécage dans la tête, marécage dans le ventre, marécage en-deçà, marécage au-delà. Rien à raconter. Consommation de livre, aucun rapport véritable, nulle rencontre : seulement noter dans carnet et passer à autre. Pressentir qu’il serait bon de se lever, faire quelque chose – la surface du marécage fait aussitôt éclater ses bulles. Rien à raconter. Ni geste ni relief – le monde surface plane. Mélancolie latente.
I can’t leave my house
Or answer the phone
I’m going down again
Vendredi
Des années plus tard, sept ans disons, plus de deux fois trois ans, probablement davantage, comme un coup porté entre nous, écart creusé de l’écriture à deux désapprise. Sorte entre nous d’immense déprise, quelque chose ne passe plus, chacun dans son box trépignant de mots, et jouant carte solitaire, au fond bien des années nous en séparent, et nous ont délacées. Quoique plus exactement, c’est moi, moi et moi seule, qui ne sait plus partager l’établi commun pourtant pour tant d’années, chaque mercredi, avec la joie des premiers temps, où nous allions insouciant des phrases à venir. Et nous allons désormais seule à deux, désormais soucieuses de l’allant et des conditions à recouvrir.
Samedi
Engouffrement Grand-place éperdue recherche d’un phare phrase étendue dévidant sous asphalte le goudron de nos attentes. De l’inattendu surgissant soudain en un écrin taillé par le vide visage aimé pulsant sous l’apparent calme. Ploient les phalènes les joues en berne cillement des nuits sans sommeil. Entre les mains tournoyant de doigt en doigt de page en page la quête d’un Dieu désannoncé. Désamorcé mais non moins risqué le visage aimé scelle sous paupière le mystère approchant.
Dimanche
Le corps épuisé, usé, tout se relâche. Parfois ne plus en pouvoir passant par le corps. Et le soir tombant dans la cuisine. Et le soir étant tombé dans le salon. Sentir par le corps l’abandon de la ville, le délassement du monde, dont la chair s’affaisse, la tessiture se relâche, l’alanguissement universel, et dans le salon la lumière ne prenant plus la peine d’éclairer vraiment. Comme un ploiement de tout, du tout dans le tout, se courber-pencher, quelque chose de cotonneux, se déploie, enveloppe, abaisse. Se laisser plier alors, tout muscle détendu, s’énoncer outre vide, vasque pour les oiseaux.
Lundi
De ces instants privilégiés où deux corps se délassent quelque chose rassurant se propage. Plusieurs retrouvailles déjà où assis sur le grand lit dans un rouge tapissé d’ombre ou d’un bleu océanique crépitant d’amours sombres et fermant les yeux nous allongeons la tête. Les accords et désaccords en notes affaiblies nous glissent et diffusent au fond de nos tympans quelques voix brisées par un art du temps dont nous ne comprendrons jamais rien si ce n’est l’effet suscité sur nos corps. Et parfois joie par les oreilles quand et de la bulle les voix s’enchevêtrent d’étage en étage sédimentant et alternativement trouées jusqu’aux grillons criquant sous les cils et déjà se sédimentant d’étage en étage de couche en couche la voix les voix rappelées de si long. Temps où les présences se rassurent dans quelque chose du plein chant.
Mardi
Frissons des arbres grands feuillages joues cahotant des mots en grumeaux grommelant dans la bouche gros gravat à ravaler. A quatre puis trois au milieu du parc lorsque la ville assoupie s’étale en ventre bulle. A quatre puis trois la musique en lien sous arbres grands feuillages laisser monter laisser monter et cette habitude de couvercle cacheté pour une fois laisser déborder. Tombés du lit nous avivés par l’anxiété et l’insomnie plus légers que la neige et dans le crâne quelque chose a cramoisi. Oui quelque chose à carnaval. Orages qui dansent. Et dense avec en plein dans les yeux le tigre. Alors oui ça craque et sans méthode messieurs ça craque ça déborde ça disjoint cette zone tampon compresse engluant depuis des années tout débordement. Si ça spasme parfois désormais ça surgit ça surgit et hors de nous hors des membres mais passant par tout le corps ça pulse et danse avec en plein dans la gueule le souffle du dragon. A quatre puis trois un soir du mois d’août c’est vrai nous fûmes désengoncés d’un certain nombre et avec en plein dans le crâne le singe qui signe et se libère et décachette chaque carreaux chaque barre barreaux de son immense vouloir. Et la panthère tourne un peu plus dans le cercle le plus exigu.