VIEUX FAUSTIN
Structure robuste des pommettes accentuant le maigre des joues, indice d’âge avancé mais on ne pourrait pas dire exactement. Oreilles plaquées sous les cheveux hirsutes (genre poil de chèvre), bien orientées pour saisir les bruissements de forêt.
En son for intérieur : un son, un son à la tessiture rauque associée à l’image d’un animal qui rôde près de la maison. Menace ou promesse ?
Il marche jusqu’aux remparts. Aujourd’hui, plus fatigué que d’habitude. Il se trouve une épaisse branche de chêne mais pas facile à manier. Il traîne la jambe, cherche le bon appui. Elle lui dirait de ne pas insister si elle le voyait, de se ménager, ces talus bourrés de cailloux sous l’herbe haute, ces rochers coupants, ces rafales de vent. Il ne veut pas l’entendre — rien que boniments de femme — même s’il est bigrement attaché à elle. Il grogne, lève les yeux au ciel, entend les rumeurs qui émanent des feuillages et des hommes à l’œuvre.
Dame, j’ai pas bien envie de mourir. Mais s’il le faut, ce sera là dans l’herbe. Un bon tapis d’herbe. Faut encore attendre le printemps, un jour de beau soleil. Elle me cherchera, j’en suis sûr. Elle me criera après. Et quand elle me trouvera pas loin, dans le pré, elle lèvera les bras au ciel. Voilà ce que tu as fait de moi et compagnie. Pas de quoi en faire une histoire.
MARGUERITE
Tout à fait creusés les sillons de chaque côté du nez, presque verticaux puis s’arrondissant autour de la bouche, plus à droite qu’à gauche. Pulpe des lèvres séchée.
En son for intérieur : ce qui s’annonce immédiatement c’est la vision d’un enfant juste sorti encore gluant qui vole au-dessus du drap comme un petit oiseau secoué de spasmes.
Elle prépare une soupe de légumes, méthodiquement. Elle a lavé les carottes dans la bassine en émail et maintenant frotte la peau avec une brosse, insiste là où il y a du noir. Ensuite épluche trois pommes de terre, démaillote les poireaux, les découpe sur la planche avec l’odeur qui monte jusqu’à son nez.
C’était douloureux, vous savez. Surtout à la fin. Mais les femmes souffrent sans rien dire, elles poussent. L’enfant finit par venir. Moi, je n’ai pas pleuré, j’ai seulement crié. Il dira ce qu’il voudra, lui, le fort le maître. Il la ramène moins, maintenant qu’il est vieux. Je voudrais juste qu’il le reconnaisse un jour. Parce que j’ai fait ma part moi aussi.
SAM
Longiligne celui-là encore — le portrait craché du père. Front haut, presque sans joues, contours de bouche renfrognée.
En son for intérieur : peu d’images, plutôt une musique surnaturelle venue des étoiles ou plutôt des trous noirs, là où on ne connaît rien de la matière.
Il conduit des engins de chantier, c’est son métier. Il aime plutôt ça même s’il ne l’a pas vraiment choisi. Aujourd’hui il creuse une fosse dans un terrain sans savoir à quoi elle va servir. Quand même vingt mètres sur quinze. Il essaie de ne penser à rien. Il creuse comme s’il le faisait à la main, et même avec les ongles.
Dure cette terre. Drôlement dure. On a dû tomber au mauvais endroit. Mais qui c’est donc, ce foutu géologue qui m’a calculé ça ? Faut pas leur faire confiance, à ces érudits. Ils croient tout connaître, en fait non, et ils osent te rabaisser.
ALICIA SIMPLETTE
Pas de masque, on croit que c’est son vrai visage, celui du dedans. Une vraie pureté des traits, tout proportionné comme il faut.
En son for intérieur : des chatons qui jouent à se sauter dessus et à rouler au sol.
Elle joue avec sa poupée, l’habille, la fait parler, marcher.
Allez hop, voilà, comme tu es belle, je t’ai mis ta robe bleue et maintenant tu vas danser danser.
J’aime beaucoup les oreilles du vieux Faustin, bien orientées pour saisir les bruissements de forêt …
Merci Caroline… ben oui, les oreilles orientées comme celles d’un animal finalement ! j’ai écrit spontanément sans réfléchir à l’image et votre regard me le révèle…
Bonjour Françoise,
Je viens d’écrire un petit bout de texte sur un grand bout de femme qui pourrait être sur le talus en face du vieux Faustin.
Je découvre votre texte seulement maintenant et suite étonnée de cette proximité. Qu’est-ce qui nous y a menées ?
Seize îles ! je ne vous retrouve nulle part, mais où est donc votre page, votre texte ? dîtes moi…
Les inspirations peuvent se croiser, se partager… j’en saurai plus quand vous m’aurez répondu. En tout cas merci pour ce retour ! hum…
ici : https://www.tierslivre.net/ateliers/26143-2/
il faut que je m’y jette, et si j’aime et admire votre texte, pour une fois ça ne me décourage pas, mais m’incite… et en plus je buttais sur le fait que j’en avais quatre, me voici décoincée… reste à trouver temps esprit libre (et puis à oublier Alicia parce qu’elle ressemble un peu trop à une de mon quatuor)
Oui merci à toi Brigitte (on peut se tutoyer n’est ce pas ? nous nous fréquentons à présent depuis longtemps…).
et tant mieux que tout ça te donne envie d’y aller…
Les carnets de Koltès sont vraiment sublimes, et ce sont eux qui m’ont donné envie de me jeter, car au départ je n’avais pas d’idée, vraiment pas grand chose, et puis ça vient…
A lire ton texte tout bientôt…
Belle découverte que tes personnages. Je les trouve très incarnés et donner cette impression, c’est pas simple. Bravo et merci, Françoise.
Quel bonheur d’avoir un nouvel écho sur un texte posé là dans l’espace-temps… car on ne se lasse pas de savoir comment les autres nous accueillent.
Oui, essayer de voir de l’intérieur les visages pour mieux les aborder, les « décrire ». Mais si difficile bien sûr.
Merci Anne pour ton regard, lui aussi de l’intérieur….