Elle ne va pas crier, jeter des choses, me jeter des choses au visage pour protester sur le fait que je lui fais revivre ça, encore une fois. Combien de fois, hein ? une fois avant et puis une autre maintenant et puis quoi encore ? Combien de fois croyez vous que ça puisse arriver ce genre de choses là, avec vos prédictions pseudo socio-psychologique, qu’est-ce que vous essayez de dire, de me faire dire ? C’est quoi cette idée de se dire, puisqu’elle a vécu ça une fois, elle va le revivre, une fois, cent fois. Parce que c’est comme ça, dans la tête, dans vos têtes de travailleurs sociaux ou d’écrivain, ou finalement on ne sait plus très bien ce que vous êtes en fait. Le savez-vous, vous-même ? Pour vous, je suis l’objet, celle qui ne décide pas, celle qui ne peux pas décider, ou qui ne veut pas décider, diront certains, les psychanalystes aiment bien. Alors c’est pratique pour vous hein, on en prend comme moi, une victime on dit comme ça, on la prend elle ne se rebiffe pas. Une fois, cent fois. Contre le sol immobile vous avez dit. C’est comme ça que vous me voulez. Une fois, cent fois. Vous êtes comme lui. Vous êtes comme l’homme que vous avez décidé de mettre sur ma route. Vous me voulez immobile pour profiter de moi. Vous voulez pouvoir me faire bouger juste, quand ça vous plait, quand ça arrange le récit. Vous voulez pouvoir prendre le bras et l’emmener là, faire tourner le pied ou l’attraper et faire monter la jambe dans une position qu’elle n’est pas faite pour effectuer. Je suis l’objet. Parfois, je vous trouve stupide, de ne pas voir vraiment, ce que vous êtes en train de faire. Parce que, ce que vous faites, c’est exactement ce que vous voulez que je fasse. Vous voulez que je le retrouve et que je le tue, parce que vous voulez vous-même devenir ce qui tue. Vous me traitez comme l’homme parce qu’en fait, vous êtes lui. Du plus profond de vos nuits, vous êtes lui. Depuis tout ce temps. Fou comme des types cinglés se cachent dans des endroits insoupçonnés, à l’intérieur des femmes bien nées. Vous ne l’avez pas vu. Parce que votre blabla théorique, vous ne vous l’êtes pas appliqué, vous vous êtes tenu un peu en biais, un peu de loin, ça vous protège, ça vous éloigne. Vous n’avez pas réfléchi que -je ne dis pas, peut-être qu’il y a un peu de vrai dans toutes ces conneries – mais vous n’avez pas pensé, que si c’est vrai pour moi, ça l’est aussi pour vous. Et que si aujourd’hui vous faites de moi une tueuse, c’est que vous, vous en êtes un depuis toujours.
Pas facile cette consigne je trouve, pas facile de trouver la chair, d’arriver à sortir de « l’idée » pour donner de la matière. J’aime beaucoup le tournant que tu prends. Qui fait du personnage quelqu’un qui retourne l’auteurice contre il/elle-même. Qui se tourne vers il/elle et l’analyse dans ses pulsions, désirs inassouvis et cachés, qui le/la sort de l’ombre ou il/elle se terre. Très fort ce texte je trouve parce qu’il met l’auteurice dans le même sac que le personnage, dans le même lieu on pourrait dire. Merci !
Merci Sybille, effectivement de prime abords je l’ai aussi trouvé difficile cette contrainte, et puis ça s’est déroulé comme ça et j’ai trouvé passionnant ce que ça a finalement mis à jour sur l’auteur !