#anthologie #prologue | Peter Handke, je suis venu au monde

J’avais le corps d’un enfant de six mois. J’étais déjà venu au monde une fois. Ce corps était dans un couffin. Ce couffin était posé sur une table. J’ai senti le froid de la distance d’avec l’autre corps de la pièce. L’autre corps de la pièce était posé sur le bord d’une fenêtre. J’ai hurlé. J’ai cru que la distance pourrait se réduire en hurlant. J’ai tendu ce qui me servait de bras en les découvrant. J’ai tendu chaque doigt en les découvrant. J’ai tendu chaque atome de ce corps en les découvrant. J’ai appris. J’ai appris là que rien ne pourrait réduire cette distance. J’avais déjà tout essayé. Mais je n’ai pas arrêté de hurler. J’ai vu la distance même s’accroître au rythme de mes cris. Mais je n’ai pas pu arrêter. J’ai compris que chaque tentative était vaine, voire contre-productive. Mais je n’ai pas pu arrêter. J’ai hurlé. Je voulais avoir chaud d’un autre corps. J’ai compris que cela n’arriverait pas. Alors j’ai continué de hurler. Parce que j’avais froid.

Chaque potentiel de relation d’atomes mort de ce corps à ce moment-là a laissé la place à d’autres naissances de potentiels de tentatives de relations d’atomes moins morts.

A propos de Alexia

Chercheuse par diplôme (Master 2, 2018) en littérature anglaise du 20ème siècle à Tours, indépendante car pas rattachée à une université pour l'heure, je fais des mousses au chocolat, des îles flottantes, du pain perdu caramel, des meringues, des crèmes brûlées...un jour, j'arriverais au niveau de la tarte au citron de Blanche!!! je l'aurais un jour!!! je l'aurais!!! En attendant, j'épluche aussi des pommes...

6 commentaires à propos de “#anthologie #prologue | Peter Handke, je suis venu au monde”

    • De fait.

      J’ai eu mon bac sur cette seule question à l’oral de rattrapage au bac:

      « qu’oppose-t-on au droit mademoiselle, en philosophie? », qui se voulait une question piège et irrépondable à un petit esprit comme celui qui devait être à l’intérieur de ce petit corps.

      La tête s’est tournée vers l’arrière, là où soufflent ceux que je ne peux « voir », puis revenue en position initiale en face de l’Interrogateur:
      « Le fait, monsieur, le fait. »

      Je savais que j’avais raison. C’est rare de savoir qu’on a donné exactement la bonne réponse au bon interlocuteur. Ce qu’il s’attendait à la fois à entendre et à ne pas entendre.

    • cette histoire de crème…j’ai eu des anglais la semaine dernière qui devaient aller dans un étoilé le soir et le monsieur ne voulait pas que madame prenne la crème brûlée, puisqu’ils allaient en manger le soir…
      Je lui répondis « it won’t be mine… ».
      Joueuse, la dame me commanda donc la crème brûlée.

      Depuis, hollandais, allemands, anglais, polonais, etc. arrivés au dessert me réclament avant que je ne fasse la liste des desserts: « la crème brûlée? »…en français…

  1. .. les faits mènent au droit si ceux qui jugent les faits respectent le droit. Votre texte, ô combien vivant, s’éprouve comme une forte douleur et prouve, tel un fait incontestable, que souffrir n’est pas mourir. Émue. Merci.

  2. malheureusement, je ne suis pas sûre que le droit serve à juger les faits moins qu’à les présenter sous un jour « collectivement utilisable » par plus ou moins d’individus doués en la matière.

    J’en ai encore eu la démonstration il y a deux semaines.

    La mort est bien un sujet, un hors-sujet dans lequel je vais tenter de noyer ce qu’il me reste de. Pour atteindre? Mais de toute façon, en rester là ne me serait pas très profitable. Car il ne s’agira, au moment de l’écriture, jamais que de moi.

    Contente néanmoins que quelques chemins se dessinent pour d’autres au moment de la lecture. Si j’ai le temps un jour, j’irai explorer cette contentitude…

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