La ville ?
Elle était là en contre-bas, il suffisait d’entrer dans le salon, pour la voir à travers la double porte fenêtre. Si le regard se plaçait juste en limite du muret du balcon seuls restaient la mer et le ciel. Sur la droite, la presqu’île de Saint Mandrier délimitait la ligne de jonction des deux immensités. A condition de regarder droit devant soi, la mer et le ciel se touchaient et le regard se perdait sur l’horizon. Les plages ? Elles étaient hors de la ville, les rejoindre demandait de l’organisation, une voiture et du temps. Peu d’habitants du quartier du Fort Blanc ressentaient la proximité de la mer. D’ailleurs, très peu d’enfants savaient nager. L’enseignement de la natation n’était pas encore obligatoire. Et aucune piscine n’était joignable à pied.
Si le regard se rapprochait, apparaissaient les bateaux de guerre, regroupés sur la gauche, les frégates, les corvettes, les patrouilleurs et très rarement l’imposant Clemenceau, le porte-avion, géant entouré de navires jouets. Un peu plus loin, au milieu de la rade : le navire soviétique en observation, pas toujours le même mais toujours présent. De notre promontoire il n’était pas possible de détecter leurs noms. Quand les bateaux étaient à quai, leurs équipages étaient sur la terre ferme dans le quartier chaud du port. Avant de réintégrer leurs navires et d’attendre la prochaine bataille navale, les marins erraient d’un bar à l’autre, d’un peep show à un cinéma porno que le relâchement post-68 avaient rendu visibles depuis les rues. Le collége Peiresc était en bordure du quartier mal famé et les enfants passaient quotidiennement devant les affiches suggestives aux titres aguicheurs, sans vraiment les comprendre et y attacher d’importance .
L’immeuble était en hauteur, à proximité du mont Faron. Vus de ce promontoire, les tuiles rouges ou rosées neuves étaient rares, le temps patinait rapidement l’argile cuite. Et le gris teinté de vert sombre était majoritaire. Peu de tours traversaient ce tapis de toits. Les barres d’immeubles étaient implantées au nord ou tout à fait à l’est. Elles ne déparaient pas la vieille ville, elles ne gâchaient pas la vue.
La ville était traversée par la voie ferrée, son sillon se dessinait à quelques centaines de mètres du port. Le passage des trains réveillait la ville entière.
Les taches de verdure étaient rares, le mont Faron assurait l’essentiel de la chlorophylle. Seul le jardin public se détachait, il permettait de situer les beaux quartiers, celui des avenues aux immeubles bourgeois dont les cariatides soutenaient les balcons aux fleurs de pierre. Le trajet pour se rendre à la bibliothèque passait devant le jardin public. Derrière les grilles de l’entrée le chariot d’un vendeur de glace et de ballon était placé, bien en vue, mais on ne s’arrêtait jamais. Les grilles n’ont jamais été franchies.