#été2023 #10 | Odette s’inquièterait-elle ?

Odette passe une lavette en tissu sur les fleurs de la toile cirée. Arno, perché sur son épaule, inspecte tous ses gestes. Odette se tourne vers l’évier, lave l’assiette, les couverts et le verre du déjeuner. Elle essuie la vaisselle avec un torchon blanc et rouge. On entend le battement de la comtoise du salon rythmer le vide qui l’entoure.
Elle a mangé seule. Hier soir, Fanny est partie en claquant la porte. Odette a déjeuné seule avec Arno posé sur son épaule gauche. De cette place, le perroquet gris voit par la fenêtre, une perruche à collier traversant le ciel de Clamart en criant ou une corneille aux prises avec une pie bataillant pour un territoire, une place où nicher dans un platane.
Arno lance un mot par-ci, un autre par-là, comme un appel à Odette. « Nadir », lance Arno. « Didon », tente le perroquet. C’est un rituel, le déjeuner est toujours suivi d’un duo, a capella. Arno accompagne Odette, reprend une phrase du thème.
Mais, ce midi, Odette ne chante pas. Elle lui gratte la nuque et descend entre les ailes. Arno tend une patte, puis écarte ses grandes ailes grises. Une posture de détente chez l’oiseau.
— Oh là là, tu aimes bien ça, mon coquin, dit sa maîtresse.
Odette s’assoit à la table de cuisine. Elle aime cette place. Arno se pose sur la toile cirée fleurie. Assise exactement à cet endroit, Odette a vécu les plus beaux instants de sa vie de famille. Elle ne le savait pas alors. Les instants de bonheur montrent leurs couleurs seulement après le coucher du soleil. Pendant le jour, tout est blanc.
Arno s’installe face à Odette, « Fanny partie ».
— Fanny est partie. Ne t’inquiète pas Arno, elle revient toujours, murmure Odette en passant le plat de sa main sur la nappe aux motifs fleuris.