J’écris dans mon bureau, j’ai la chance d’en avoir un rien qu’à moi, au cœur de la maison. Difficile de me souvenir du temps où je n’en avais pas, où j’écrivais dans mon lit, dans les trains. Il faut que mon bureau serve de chambre d’appoint, rarement, pour que je me rappelle combien il est important et combien il me manquerait si je n’en avais pas. Impossible d’écrire quoi que ce soit d’un peu long et d’un peu suivi, d’aboutir à ce qu’on appelle un livre sans ce bureau. J’ai toujours détesté qu’on lise par-dessus mon épaule, une crainte qui remonte à loin. Pas de livre d’ailleurs avant la mort de ma mère, rien que des choses éparses, des fragments, des bouts, des notes. Peut-être ne voyez-vous pas le rapport, moi non plus, car il n’y a pas de lien simple, de relation vraiment causale.
Si je vivais seule, j’oublierais de manger et de dormir pour écrire. Je sortirais parfois pour de longues promenades qui oxygènent le cerveau, des séances de natation ou d’art martial qui dénouent les muscles et les articulations et quelques activités sociales qui enseignent comment les autres vivent. Comme je le fais quand ça bloque. Heureusement je ne vis pas seule. Il est important que mon bureau soit au cœur de la maison. J’aime écrire sans musique, avec les bruits du monde qui m’entoure, un peu comme on les entend quand enfant dans sa chambre on était obligé de garder le lit. Bien sûr, je rêve parfois comme tout le monde d’une cabane isolée qui me servirait de retraite. Je sais que je m’y sentirais comme asséchée et que j’y deviendrais muette. J’ai besoin d’un cocon pas d’une prison.
À propos de cocon, j’ai fait récemment la rencontre d’une écrivaine qui cherchait des feuilles de murier blanc pour alimenter des chenilles. Je ne savais pas qu’elle était écrivaine et j’ai un murier blanc. Elle m’a offert son dernier livre « Un hiver de soie blanche » roman pour enfants racontant la soie à Lyon en 1860. Elle intervient dans les écoles pour parler aux enfants de CM1 et CM2 ; voir manger les chenilles les passionne. Lors de sa dernière visite, je lui ai coupé de longues pousses qui pourront lui servir à bouturer son futur murier blanc. Je lui ai offert un de mes livres, elle ne m’en a jamais reparlé, peut-être ne l’a-t-elle pas ouvert ? Elle m’a offert plein d ’autres cadeaux : une plante, des cocons. Peut-être est-ce pour elle plus important que son livre, que mon livre ? Tout cela contre quelques feuilles de murier blanc dont les pousses de l’année font déjà plus d’un mètre depuis la taille annuelle de février, qui a produit bien plus de feuilles que j’en ai écrites dans la même période. C’est une dame pas du tout impressionnante mon écrivaine (je l’imaginais plus jeune), son livre n’a rien de révolutionnaire (encore que décrivant bien les transformations sociales de Lyon dans ces années-là), mais elle a un éditeur et une belle couverture à rabats et des illustrations dessinées par une artiste.
Je ne parle pas de ce que j’écris, mais désormais je le publie, je le partage. Le nombre des personnes intéressées est infime. Ils me parlent de la forme qui leur plaît alors que c’est le fond qui seul me retient. J’aime écrire sur des choses qui me tiennent à cœur et sur lesquelles j’ai besoin d’y voir clair.
Mon bureau est encombré de tables (trois) sur lesquelles il y a des livres, des appareils photo, une imprimante, des papiers et j’ai désormais une vraie chaise de bureau confortable prescrite par mon mari. J’aime allier illustrations et texte malgré les difficultés propres à l’impression des illustrations. Les gens aiment (j’aime) les images, même s’ils ne regardent (je ne regarde) qu’elles quand il y a du texte à côté.
Il me faut ajouter que je suis une écrivaine en colère, que c’est souvent la rage de dire, de contredire qui me sert de point de départ. Écrire m’apaise étrangement, mon bien-être mental en dépend, ma santé mentale.
Rencontrer un éditeur devrait être une nouvelle étape. Je ne sais comment faire. J’y pense et je ne fais rien. Comment fait-on ? Que leur dit-on ? Comment garde-t-on son indépendance ? Il faut que j’y travaille. Sur mon projet en cours, j’ai déjà un préfacier, une proposition d’adaptation en spectacle vivant et de subvention, mais pas d’éditeur. C’est drôle, non ? Pas vraiment. Je ne sais comment faire. Peur de perdre la maîtrise ? Peur des délais ? Peur des complications ? C’est tellement agréable l’autoédition ! Il faut pourtant que j’entreprenne la démarche. C’est le moment. C’est nécessaire que j’en cherche un, au moins pour discuter et voir comment ça se passe.
Tout cela parait si simple à te lire, même les difficultés. Merci
C’est simple, je ne fais presque que ça. Bises et merci.
Quitter le cocon de l’écriture solitaire au coeur d’une maison familière n’a pas l’air aussi facile qu’imaginé. Le troc de feuilles avec l’écrivaine me paraît révélateur d’un espoir un peu déçu. Lire l’autre suppose de sortir de sa zone de confort et ici de réussite, toute relative. L’offre et la demande en écriture est un équilibre jamais satisfait. La lecture est un choix, un choix de vie aussi. Oui, ici la démarche est très claire et très organisée, reste à prendre le risque de rencontrer les chenilles qui permettront aux livres intérieurs de devenir papillons. Ecrire dans une magnanerie, chiche ?
Tu parles d’or Marie-Thérèse : sortir de sa zone de confort, prendre le risque pour libérer mon livre intérieur, faire un autre choix de vie, sans doute est-ce ce qui me manque ? Je vais sérieusement réfléchir à me trouver une magnanerie pour écrire et devenir papillon. Merci de ta visite.
Tout est dit. Et tout reste à faire. Quelle drôle d’idée de vouloir écrire. Et de vouloir être publié. Quand il nous faudrait plusieurs vies pour lire tout ce qui est beau et bon à lire ! Alors oui, la, les rencontres, le réseau, la nécessité de plaire, de faire savoir, de s’intéresser au travail des autres. Indispensable. J’écris seul. Je devrais dire isolé. Aucune chance, donc. Quelle drôle d’idée de vouloir écrire ! Et de vouloir être publié !
Quelle drôle d’idée en effet ! Merci d’être passé, mais je ne vous trouve nulle part dans les tierslivreux.
Je suis là, pourtant : https://www.tierslivre.net/ateliers/author/nbleusher/
j’aime ce « J’ai besoin d’un cocon pas d’une prison. »
quant à l’éditeur serai bien en peine de savoir…
merci Brigitte
Tu dis un mûrier blanc.
La première fois que j’ai vu cet arbre, il m’a été présenté comme un faux mûrier.
Et certains par ici l’appellent mûrier platane, à cause de sa belle ombre
J’aime beaucoup cet arbre.
Bonne quête !
murier blanc et murier platane, je crois que ce sont deux arbres un peu différents. les chenilles ne mangent paraît-il que le murier blanc. Ils se ressemblent et on peut manger les fruits.
Ce passage où tu dis (toi ou l’écrivant concerné par ton texte) qu’il n’y a pas eu de livre avant la mort de ta mère, ça m’intrigue, m’intéresse, envie d’en savoir davantage. J’y vois un lien, à couper pour faire naître quelque chose qui ne pouvait pas, quelque chose d’interdit, quelque chose qui vous reliait tout en vous éloignant ?
J’aime aussi ce passage : « Ils me parlent de la forme qui leur plaît alors que c’est le fond qui seul me retient. »,
Et celui-ci : « Il me faut ajouter que je suis une écrivaine en colère, que c’est souvent la rage de dire, de contredire qui me sert de point de départ. »
Bel atelier Danièle.
Merci Annick. Tu reviens dans l’atelier ? Je raconterai peut-être un jour mes blocages et de mes moteurs dans l’écriture. Je n’y vois pas très clair moi-même. Rien n’est jamais simple et clair. J’écris aussi pour y voir clair.
Coucou Danièle,
Oui, je reviens à l’atelier, joie, écrire, lire, retrouver les camarades.
Tant que ton écriture est en mouvement, c’est tout ce qui compte 🙂