Je sais pas quand ça a commencé. Je sais pas quand je m’en suis aperçu. Y’a pas eu un jour où ça m’est tombé dessus. C’est pas un éclair qu’a déchiré le ciel et fendu la vie en un avant et un après. Ce qui est sûr, c’est que quand j’men suis rendu compte j’étais en primaire, en début de primaire même. Parce qu’il fallait qu’on reste assis longtemps, accroché à nos chaise, qu’on avait pas le droit de se lever même pour pisser. Et fallait se taire, écouter et pas bavarder. C’est comme ça que je me suis rendu compte que j’étais pas comme les autres. Eux, ils levaient le nez, tournaient la tête et regardait dehors ou il se faisaient des grimaces quand la maîtresse elle avait le dos tourné. Alors que moi, j’avais pas le besoin de faire ça, je regardais droit devant moi. Et puis, je faisais un regard un peu flou, la classe, les autres et la maîtresse, ils perdaient un peu de leur netteté, je les voyais encore mais tout recouvert d’une fine pellicule de givre. On les distinguait les uns des autres mais avec comme un halo de douce lumière en provenance de derrière. Et là, à ce moment là, je captais tous les bruits, tous les sons, toutes les paroles et ça faisait un paysage. Pas un truc où tu bouges pas parce que ça restait jamais pareil. Et moi, j’étais en classe affaire, les bruits, parce qu’au départ c’était que ça, faisaient comme un écho dans ma tête, au début, c’était désordonné, ça partait dans tous les sens – le crayon qu’était tombé, la trousse que l’autre devant moi y pouvait pas s’empêcher de tripoter, la circulation dehors, je dis juste ça pour l’exemple – au bout d’un moment tout continuait à rebondir à côté du reste et petit à petit trouvait sa place. Et ça finissait par pulser, par créer sa petite vie à soi.
Bon, faut pas croire que je passais ma vie perché la-haut ni que c’était tout le temps agréable comme ça, non c’est pas vrai. Déjà, ça me le faisait pas tout le temps et en plus je choisissais pas le moment. Parfois, c’était l’enfer faut pas croire et la musique j’aurais tout fait pour qu’elle s’arrête direct mais ça continuait et j’y pouvais rien. Le pire, c’était quand le daron était à l’appart, il y était pas toujours et pour moi, c’était mieux si la daronne râlait non stop. Tu pouvais être certain que ça allait vriller tôt ou tard, et en général, c’était plutôt vite venu. Là, c’était un concerto pour déglingo, les voix gonflaient, gonflaient et les deux, ils embrayaient l’un sur l’autre, crescendo. Moi, c’qui disaient ça me passait par-dessus le durag que j’avais pas encore à l’époque. Par contre, la bonne charge d’agressivité, j’me la prenait pleine face, uppercut à la Tyson. C’était de vents hurlants et ça me plongeait dans un brouillard qu’à la machette j’aurais pas pu ouvrir un peu, même de ça. Le tableau serait pas complet si on ajoutait pas une pincée de claquement de porte, de vaisselle froissée, de casseroles et couvercles qui sonnaient en gong. Ça me filait la nausée et une migraine pas possible. La passé c’est le passé tu m’diras, exact mais quand ça te courre dans la tête vingt ans plus tard, est-ce que c’est du passé ? Personne peux me répondre à ça ? Parce que ces bruits dans mon crâne, je les ai encore. Tout pareil que quand j’étais môme, retour vers le passé.
Sortez les mouchoirs, pleurez dans les chaumières, non, je vais pas mentir, si j’ai fait des conneries, c’est pas à cause de mes sirènes mais bon. J’ai pété des câbles pour ça, c’est arrivé. L’autre soir, tiens, quand on est sorti à Paname avec le cous’, ok j’avais bien tisé – un peu bédave aussi – la viande était attendrie. Je suis plus sensible dans ces cas-là. On s’est retrouvé dans le métro, il était pas très tard, je crois et des gens y’en avait encore sur les quais plus qu’il m’en aurait fallu. Ils parlaient, traînaient des pieds ou, impatients, les tordaient en les frottant au sol. Au loin les rails vibraient de rames en circulation. Les tunnels formaient et déformaient cette mélasse. Avec ce que j’avais avalé, ça me traversait de bas en haut, me mettant du feu dans le ventre. Le palpitant me cognait jusque dans la mâchoire et ma boîte crânienne en grande cathédrale réverbérait les sons. Des interférences m’empêchait de recueillir l’essentiel qu’était à portée d’oreille mais que personne entendait. Un rythme, bien huilée, des frôlements de paume sur la peau tendue d’un darbouka ou d’un conga, la beauté, ici, tout près et pas un con à part mézigue pour l’entendre, un vivant parmi les sourds, un enfant innocent et naïf parmi les affairés et les obséquieux. Alors, ni une ni deux, je suis descendu sur les rails, au cœur des herbes qui poussaient et qui chantaient dans le vent venu de l’autre bout de la ville et de l’autre bout du monde peut-être. Des grillons frottaient leurs ailes cuivrées et de la poudre d’or tintait en retombant. J’ai juste voulu suspendre le temps mais j’te garantis aujourd’hui y’a plus que des gens pressés et laids.
on est pris par ta prose vivante, ça frôle ça vibre, alors on continue…
merci pour cela…
Une écriture qui pulse et le premier paragraphe résonne bien en moi…Merci.
Oui! On entend cette voix. Et on a envie d’écouter ce qu’elle a à dire. Bravo, c’est très réussi.