Ici, on ne sait jamais tout à fait ce que font les gens, comment ils gagnent leur vie, si leurs frigos sont vides le 5 du mois ou quelle débrouillardise permet de les garder pleins jusqu’au 31.
J’ai compté 20 étages à l’immeuble d’en face. Dans le temps, il accueillait l’Administration centrale des Postes yougoslaves. Puis ce fut l’Administration centrale des Postes serbo-montenegrines. Aujourd’hui – mais pour combien de temps ? – il ne s’agit plus que des Postes serbes.
Aux petits balcons qui rythment la façade les employés s’accoudent pour fumer. Leurs pauses s’étirent si longtemps qu’on se demande si ces clopes au balcon ne sont pas l’activité principale de leur journée.
À l’étage 11, Žena 1, Žena 2, Čovek 1 et Čovek 2 sortent tous les quarts d’heure fumer. Seuls, ils se concentrent sur le défilement du mobile, mais quand ils se retrouvent, à un moment qu’on imagine concerté, ils parlent, parlent, et parlent encore. Deux femmes, deux hommes, collègues désoeuvrés ou, peut-être, croulant sous un travail ennuyeux que seul l’enchaînement des pauses-clopes rendra vivable.
Le matin, le soleil donne sur leur étage et je les vois, les yeux fermés, se chauffer les joues. En fin de journée, accoudés, ils regardent en direction du Danube tout proche, avec ses péniches chargées de charbon qui remontent le fleuve vers le nord, direction la Hongrie. Les péniches avancent, Žena 1, Žena 2, Čovek 1 et Čovek 2 fument. Ils passent le temps, comme tous ici, en flottements indistincts.
Quelle forte et belle entrée en matière ! Et le choix de ces paragraphes courts. Beaucoup aimé, Xavier.
je les vois aussi lors de cette pause au balcon, deux hommes, deux femmes … ou deux femmes, deux hommes, ça dépend
te suivre, Xavier, un peu plus loin…
ça me rappelle un proverbe des pays de l’est ante-chute du mur » que tu travailles ou que tu travailles pas, le salaire tombe à la fin du mois » doux cynisme des foules en réponse au cynisme du système, remarque à Paris, je me demande bien aussi quand bossent les gens, les bistros toujours pleins. J ‘aime beaucoup ces flottements indistincts…
quatre que leurs noms destinaient à se rencontrer dans leur ennui mutuel et le plaisir tout de même du fleuve qui coule comme le jour vers sa fin
De quart en quart le temps des cigarettes . Fractionnement . Fumées de balcons aux garde corps : en bas le fleuve. Vignettes qui rendent palpable des minutes du monde là qui est ailleurs. Merci pour le voyage.
Dans le temps d’une cigarette, je crois que nous retrouvons la petite sécurité de l’homme ancien qui conservait précieusement le feu. Merci Xavier pour ces volutes.