à tout organisme porteur de projet, association, maison de soutien aux artistes ou mécène susceptibles d’être touchés par l’aventure du « pays aux mille taillis »…
Pas d’intention particulière au commencement. D’ailleurs on ne m’a pas demandé mon avis. J’étais en train de débarquer d’un autre pays et tentais de m’installer dans une immense bâtisse perdue au milieu des bois et des guérets quand je me suis retrouvée au début d’une nouvelle aventure. Bien en peine de savoir ce qui s’est passé exactement. Bien en peine d’analyser l’exact processus qui m’a conduite à rejoindre régulièrement la chambre installée en bureau à l’étage et à y couvrir des pages d’écritures bien serrées — la meilleure des méthodes que je connaisse pour faire surgir des histoires. Vous dire que j’ai commencé à guetter en pleine nuit les hululements modulés des rapaces nocturnes, à rôder dans les parties inhabitées et les dépendances pour surprendre les lérots aux yeux pareils à des joyaux et queue touffue, adorables petites bêtes dont le monde en général veut se débarrasser. Moi j’ai décidé de les garder, voire de les apprivoiser, ils sont si beaux et si attendrissants. Et ils peuvent partager le grain avec les poules rousses, faire bon ménage, après tout.
Donc je sollicite de votre haute bienveillance la possibilité de vivre encore dans ces bâtiments qui m’appartiennent et dont j’ai entrepris la rénovation afin de laisser surgir de leurs murailles — de leurs entrailles — les histoires d’un passé récent, disons du 20ème siècle, tous les personnages qui voudront bien se révéler à moi sans avoir besoin de me préoccuper de ma subsistance. Une simple bourse me ferait tenir plusieurs années. Et c’est le temps qui me serait nécessaire pour voir pousser les jardins que j’ai commencé à planter, explorer les ravins jusqu’à retrouver les vestiges de quelque chariot éventré et ou des ossements de cheval. Le temps aussi d’aller à la découverte des innombrables taillis du domaine. Dans le titre, je dis qu’il y en a mille, et c’est sûrement vrai. Mais il me faudrait plusieurs fois la même saison pour les connaître, découvrir les trésors qu’ils recèlent, donc plusieurs années pour éprouver au moins deux ou trois fois la froidure ou l’explosion du printemps ou la magie de l’automne. Ce que je demande n’est pas grand-chose. De quoi payer les assurances (ah quel mot que celui-là) et la voisine qui boulange deux fois par semaine, quoi que je songe de plus en plus à retaper mon four à pain pour le faire moi-même et aussi des gâteaux. Il faudrait cependant que je paie la farine et quelques autres ingrédients pour être tout à fait autonome, le blé pour la volaille et un peu d’électricité pour rester connectée au réseau et communiquer avec les instances comme la vôtre pour prendre connaissance de ses décisions et autres liens obligatoires avec la société. Il me faudrait aussi le temps d’explorer les terriers de renard, d’aborder la façon de vivre des chevreuils, des ratons laveurs et des autours des palombes, de visiter les sites avec pierres dressées de la région, ils sont nombreux, à l’occasion rencontrer quelque spécialiste pour acquérir des notions d’histoire locale. Vous comprendrez bien qu’il faut survivre pour cela, pour mener au bout une tâche pareille, pas forcément réclamer beaucoup d’aise, enfin juste de quoi. Parce qu’à la fin on ne peut plus être suffisamment serein pour faire couler la sève, écrire quelque chose qui tienne la route. Et les temps sont trop rudes. D’où cette urgente réclamation.
Je suis sûre que vous entendrez la modulation de la hulotte et verrez la renarde rouge à l’affût tout en mesurant à son juste niveau la fureur qui m’habite à poursuivre un but indéfini, mais c’est cela la quête d’un livre. Un livre à venir. Un livre à tenir bien en main.
Photographie, ©Françoise Renaud – temps de neige, hiver 2023
« couvrir des pages d’écritures bien serrées — la meilleure des méthodes que je connaisse pour faire surgir des histoires. »
En gros ton intention c’est imaginer obtenir une bourse pour avoir le financement vital , te permettant superviser les saisons dans ton jardin ( celui de la narratrice), les cabrioles des lérots entre deux rencontres avec la renarde ( un personnage qu’on trouve souvent en littérature) , les déambulations des poules rousses et des fantômes du crû ? Imagine qu’on fasse toutes et tous pareil,les maisons d’édition vont crouler sous la production de silos à mots, puisque les greniers ne désempliront plus, entre autarcie alimentaire et connectivité endurante. Cette sédentarité d’écriture rurale revendiquée pourrait mener à la fin des villes et au retour aux principes de survie gauloise. C’est très subversif ton truc. Non ?
ainsi que tu le rappelles, se souvenir que c’est l’autrice qui écrit dans le livre qui parle bien sûr et non moi… (même si… bon, enfin bref !)
et je voulais le ton plutôt humoristique tout en exposant la situation intenable des auteurs, la précarité, l’importance de l’écriture
et oui, réclamer juste le vital…
merci pour ton passage, Marie-Thérèse