Quand j’ai commencé à me pencher sur la Chenille, je ne mesurais pas l’étendue du problème qu’il posait à notre petite communauté, à la Faculté et à la sphère scientifique dans son ensemble. J’avais une vingtaine d’années et c’était le héros de mon enfance, à l’instar d’Ulysse ou de Patrick Baudry. Je n’entendais plus parler de lui, mais j’imaginais que c’était par manque d’information, qu’il avait dû quitter la France sur un pont d’or vers les labos américains… Je l’avais perdu de vue, par un concours de circonstances, pensais-je alors. Il avait disparu, sans pour autant l’être. Subtile nuance de l’auxiliaire. Pour ses collègues, ses anciens collègues, j’allais bientôt le comprendre à mes dépens, il était pire que mort. La trahison et la haine qu’elle engendre maintiennent en vie bien des cadavres depuis longtemps en terre, a fortiori cet homme dont le décès n’était pas d’actualité, mais qui leur avait faussé compagnie. J’envoyai donc, dans ma naïveté, une demande de bourse d’étude sur ses travaux au Grand Conseil de l’Ordre. Elle devait couvrir essentiellement les frais des voyages qui m’auraient permis de rencontrer ses patients les plus remarquables, éparpillés sur trois continents. J’arguai de notre vieille connaissance (Malice ma grand-mère n’était-elle pas la célèbre Alice A. de sa première publication d’envergure ?), du traitement innovant de mon frère Sasha et de ma propre vocation de neurobiologiste, suivant sa voie.
Notes de mon journal : « Je reçois la réponse du Grand Conseil à ma demande de bourse. Une pluie de feu ! » (…)