Chaque année, je m’offre une retraite d’écriture. Une semaine complète en solitude et variation géographique. Une chambre dans un château ou face à la mer, un gîte dans le Jura ou sur les hauteurs de Namur. Une bulle nécessaire pour suite d’accouchements qui me permet de couper avec les contingences du quotidien.
Vingt-huit textes existent, épars, disparates autour de deux enfances fissurées. Elle. Lui. À l’aube de rencontrer et de se réparer. Mais je n’en suis pas encore là. À l’heure du bilan provisoire, les départs ont été formulés (la mère indigne qui abandonne ses petits pour Elle, la Sicile heureuse pour Lui). Les douleurs ont été peintes à coups de poignards, les joies gribouillées et l’ennui dilué dans les couleurs du souvenir.
Il me reste la structure, il me reste le titre, il me reste les prénoms et le vernis de fiction pour qu’on oublie l’histoire originelle. Tenter de toucher à la vérité en épuisant l’imaginaire.
Quatre mois s’ouvrent devant moi et m’éloigner me permettrait :
- d’organiser l’alternance des enfances pour offrir un contrepoint lumineux (LUI) au désespoir de l’enfant abandonné (ELLE)
- d’y intégrer des fragments sur l’écriture et l’intention : comment rencontrer le lecteur/la lectrice à partir d’une proposition si intime que l’histoire de mes parents ? quelle universalité ?
- d’y intégrer des réflexions sur les origines : est-ce qu’on hérite de ses origines ? est-ce qu’on les choisit ? est-ce qu’on les fabrique ?
- de mener une réflexion personnelle sur la déontologie de l’écrivain : quand ma mère me dit : si tu écris sur nous, dis pas que c’est nous parce que c’est la honte, comment mêler le respect de la consigne et le besoin de porter cette histoire qui fonde la mienne en écriture ? Est-ce qu’un texte existe s’il n’est lu par personne (en cas de non-édition) ? Est-ce que je peux me contenter d’accoucher sans faire reconnaitre l’enfant ? Est-ce que vernir la réalité suffit à anonymiser les personnages ?
- s’emparer du matériel pour avancer (ou se détourner du contenu) : imprimer, lire à voix haute, importer dans Scrivener, choisir sa police, l’agencement des paragraphes, titres de chapitre ou pas titre ?, prologue, TO DO, liste des chapitres à écrire, liste des livres à lire, liste des citations, des exergues, remerciements, liste des maisons d’édition – lignes éditoriales – adresses – mode d’envoi (postal ou numérique) – délais de réponses
- enfin, de continuer à écrire. Mon sujet est loin d’être épuisé. Où, quand arrêter ? Quelle fin donner à une histoire qui dure encore ? Juste avant la rencontre ? Au début de l’amour ? Au mariage ? Au premier regard ? Quels silences ? Quelles pudeurs ? Quelles nudités ?
Pour toutes ces questions, il me semble qu’une retraite au Portugal, sous les kiwis, au bord du Douro serait nécessaire.