Quand j’ai recommencé à écrire, il y avait un besoin. C’était vital. J’étouffais. J’ai pensé — était-ce naïf ? — que je pouvais mieux me faire entendre. Surtout, j’ai cru — était-ce présomptueux ? — que j’avais une mission, que j’étais le porte-parole des laissés pour compte. Je m’imaginais célébré par mes contemporains. Je me figurais leur écœurement et leur amour. J’ai évacué tout le venin qui était en moi. J’ai ouvert les yeux. J’étais seul dans ma chambre.
Clémentine dort sur le lit à côté de moi. On a tout dépoussiéré, tout rangé. Le livre qui attendait d’être lu a été lu. Il n’y a plus ce bazar que j’avais décrit. Cet écart entre la réalité et la fiction, je crains qu’il enlève à mes textes leur valeur, ou peut-être n’ont-ils jamais eu la moindre valeur.
Elle m’a accompagné dans mon voyage fait tantôt avec enthousiasme, tantôt en trainant les pieds, c’est elle qui m’a aidé à avancer, à ouvrir les portes de mon espace noir. Je devais m’exposer sans craintes, sans honte, sans pudeur. Y suis-je parvenu ?
On erre d’une ville à une autre, de rue en rue, de ciel en ciel, de pont en pont, mais toujours, nous revenons en arrière, tétanisés.
Dans un premier temps, il y a eu l’image de ce gamin qui écrivait ce qui lui passait par la tête. Il se prenait pour un auteur. Ce qu’il écrivait ne valait rien. Puis il s’est mis à douter. Pourquoi j’écris ? se demanda-t-il. Pourquoi se fatiguer ? Où est-ce que tout ça va ? Ai-je été honnête avec moi-même ? Ne me suis-je pas trahi pour l’approbation des autres ? Il ouvrit ses tiroirs. De ses textes, il ne restait plus grand-chose. Des lambeaux. Le besoin du regard des autres. L’orgueil d’être au centre de toutes les attentions. Un simple passe-temps mondain.
Dans un deuxième temps, il y a eu ces lieux, ces visages. Je les avais enfouis en moi. Je parcourais la salle de bal où mon père et ma sœur dansaient. Ce lieu dont j’avais été exclu. Au début, je n’ai rien reconnu. Je marchais, suivi de Clémentine. Elle m’a forcé à sortir, à prendre le RER A. Tu dois y aller, m’a-t-elle dit. C’était au bout du monde. Mes genoux tremblaient. J’avançais dans des couloirs rongés par l’ombre. Je tirais les rideaux. Je regardais. Posais des questions. Puis c’est revenu. J’ai hurlé, comme si quelque chose en moi s’était réveillé, une douleur atroce. J’étais plein de colère. De peur. De tristesse.
Ecrire a fini par devenir une torture. Plus je m’enfonçais, plus c’était douloureux. Je persistais. Il fallait aller jusqu’au bout. S’assécher.
Enfin, j’ai dû combler les trous. Ca a été la troisième étape. Sans savoir où on va vraiment, faire que ça tienne debout. Et avec ça, assumer. Assumer l’absence de craintes, de honte, de pudeur. Assumer ce truc peu reluisant. Sa laideur. Sa monstruosité. Son humanité, en somme. Se montrer dans toute sa vérité.
Est-ce la fin ? Ce point, qu’est-ce qu’il conclue vraiment ? Cessera-t-on enfin d’écrire ?
Clémentine dort sur le lit à côté de moi. Elle se réveille. Exige d’être portée. Je la prends dans mes bras. Parfois, elle est chiante. C’est un chat, après tout. Elle veut que je la poursuive, que je joue avec elle. Elle se cache quelque part. Elle me saute dessus. Et le soir, elle dort dans mes bras. Je l’aime. Elle remplit mon cœur de chaleur. Ca me rend heureux.
Cela vient de loin tout ce que tu écris. Comme un long aveu d’impuissance à garder une forme d’estime de soi dans la grande soupe sociale attirante et menaçante. On ne sait pas vraiment ce qui incombe au personnage que tu fabriques et donnes en pâture à la lecture. Il est encore « trop toi » pour l’instant et à ce stade, j’aimerais que tu demandes son avis à cette chatte qui est devenue la porte-parole de ta douceur refoulée, mais bien visible. Que faire avec les mots pour rejoindre ceux des autres, quelle alliance possible pour faire les pas de côté qui s’imposent ? Tourner la page noire et accepter la réalité d’une certaine distorsion entre les aspirations et les possibilités concrètes d’écrire quelque chose de partageable. Ce qui suppose de prendre en considération les attentes des lecteurs et des lectrices. Que veulent-ils ou elles lire, entendre ou non, comprendre ou non ? Raconter son histoire sans la rendre attractive présente un risque de déconvenue. Est-ce une question de fond, de forme ? Je n’ai bien sûr pas la réponse. Mais j’apprécie que tu sois en chemin. Merci pour ta sincérité.